Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Rencontre avec lyes louffok

09-06-2015

Lyes LOUFFOK

Auteur du livre "Dans l'enfer des foyers. Moi, Lyes, enfant de personne" chez Flammarion

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Aujourd'hui adulte, Lyes compte 20 années de placement à l'ASE et a été ballotté pendant 18 ans de familles d'accueil en foyers. Malgré les maltraitances dont il a été victime, il a réussit à se construire un projet de vie et exerce aujourd'hui le métier de Travailleur Social. Pour que son histoire ne se répète pas, il a écrit un livre et souhaite créer une association pour améliorer les conditions de vie des enfants placés.

Lors de cette rencontre, nous avons exploré avec lui les sentiments qu'il avait eu à gérer tout au long de son parcours et vous trouverez ci-dessous quelques extraits.

Comment un enfant accueilli vit-il son placement ?

Quelques échanges

« Enfant boulimique AssFam dit « arrête de manger ! Arrête de manger !» et ça fait l’effet inverse, on mange encore plus car on ne supporte pas l’injonction. »

« Je faisais le « bordel », j’ai toujours été anti-cadre = agressivité, colère, roulait au sol, partait… je montrais mon mal-être comme ça ! »

« Je ne supportais pas la frustration »

« Je voulais qu’on m’écoute, qu’on m’entende, qu’on me comprenne »

« Quand je suis arrivée chez ma dernière AssFam, elle m’a fait asseoir sur un canapé, m’a demandé de lui raconter mon histoire, m’a écouté et quand j’ai eu fini, elle m’a fixé 1 seule règle, elle m’a dit : « tu me ramènes pas la police et tu rentres avant minuit ». Elle a court-circuité mon besoin de sortir, je rentrais à 20h ; elle avait confiance en moi. Les autres règles ne s’appliquait pas à moi et elle l’a compris et en a tenu compte. Elle ne riait pas mais on sentait son affection dans les mots et les attitudes. C’est pour ça que je me suis posé. »

« J’ai toujours pensé à ma première famille d’accueil, c’est ce qui m’a permis de garder espoir et l’envie de m’en sortir.»

«La question de la légitimité de la personne est importante. Au fur et à mesure du temps, cette dernière assistante familiale me demandait d’aller faire des courses avec elle, pour lui faire plaisir et je le faisais alors qu’avant NON, je ne l’aurais pas fait. Je sentais le respect, l’AssFam parlait avec amour ; elle m’a dit, tu peux rester jusqu’à 18 ans, même après si tu veux, même si tu ne travailles pas, tu peux rester. Tout d’un coup, j’avais un toit, un endroit où dormir, une famille et je me suis senti appartenir à cette cellule familiale. »

« Je subissais les réorientations, on m’en parlait au dernier moment, quand il fallait partir. Je me sentais méprisé »

« Je disais tata à toutes les AssFam mais pas de liens créés (sauf première et dernière). Je ne les aimais pas »

« Je ne voulais pas être en foyer, j’avais peur, j’ai toujours eu peur, instinctivement je savais que ce serait encore plus dur. »

« Des liens se sont créés avec l’éducatrice et je l’ai détesté et ai réagi avec violence, je lui en voulais alors qu’elle était la seule à s’intéresser à moi. On devrait être transparents, à 10 ans on comprend mais elle n’a pas dit. Si elle l’avait fait, je l’aurais cru. »

« Si on ne parle pas avec l’enfant, il se fait un film »

« J’ai méprisé les adultes, je me suis senti trahi et les AssFam étaient responsables. »

« Les enfants n’ont peur de rien, ils savent qu’ils sont inattaquables. Au foyer on banalise tout, on se fait « défoncer la gueule» et c’est comme ça ! »

« Qu’est-ce que je vais faire après, à 18 ans ? L’adolescent ressent trop de détresse. »

« La dernière AssFam m’a compris, à 14,5 ans. L’éducatrice venait y livrer un paquet et elle l’a réceptionné. Son regard et la maison m’ont donné confiance. J’ai parlé sans filtre, j’ai parlé, parlé… j’ai tout dit, tout, même ce que je n’avais jamais dit à personne. Elle m’a regardé et a dit « oui je sais, ça se passe comme ça, c’est pas normal » et c’est ça qui m’a donné confiance en elle. Elle n’était pas « complice », n’excusait pas l’institution. Je suis arrivée en urgence parce qu’il y avait un lit chez elle et j’y suis resté alors que j’aurais dû partir 15 jours plus tard.»

« Ma 3ème famille d’accueil venait juste de se faire retirer une gamine partie 1 semaine plus tôt, j’arrive à ce moment-là, j’ai bouché un trou au sein d’une famille dépressive. »

« La plus mauvaise des familles d’accueil, même maltraitante, est mieux qu’un foyer. »

« Dans ma 2ème famille d’accueil, il n’y avait pas de visibilité. L’audience de renouvellement, le déménagement, la situation du mari (gendarme). Je dormais sur un matelas de polystyrène, pas scolarisé, pas de visites chez un quelconque médecin. Des bleus ont été signalés chez l’autre enfant accueilli qui a été retiré et moi on m’y a laissé ! Je me faisais caca dessus et j’avais la douche glacée en punition. »

« Quand j’ai été mis sous médicaments, je me dégoûtais moi-même, je ne voulais plus me doucher… J’avais toujours des contacts avec ma 1ère première famille d’accueil et j’ai appris qu’on ne pouvait pas me contraindre à prendre les médicaments. Je l’ai dit mais j’ai eu du chantage en retour « la prise ou le foyer ».

«J’étais turbulent mais je n’ai jamais vu un éducateur ASE pour ce motif, aucun psy durant mon placement familial, seulement des reproches, des menaces. »

«Je voyais ma mère faire des crises par terre, des violences aux éducateurs et aux infirmiers »

« Je disais à la famille d’accueil « je ne veux pas voir cette personne » et on me forçait à la voir mais au final, ma mère ne venait pas. Elle me dégoutait physiquement ; j’ai beaucoup pleuré dans mon lit ! »

« Un jour, dans l’escalier, ma mère a brandit 10 € en s’avançant et en me disant « vient… » je sautais sur le billet. Je ne voulais pas la voir mais je voulais l’argent alors je lui ai demandé qu’elle m’envoie un billet caché dans un livre, par la poste et elle l’a fait, notre lien se résumait à l’argent. »

« J’ai lu dans mon dossier que la pédopsychiatre avait dit que la « pathologie héréditaire se déclare à 18 ans » et j’avais peur mais j’ai 21 ans et ça va bien. Cette peur je l’ai encore ! »

« Je me faisais vomir »

« Je ne vois plus ma mère depuis 3 ans, c’est ma décision. Même la regarder et lui faire un bisou, j’avais beaucoup de mal »

« Quand un enfant n’a pas envie de voir parents, on les force »

« On a préparé les enfants en fonction des situations et les changements de département remettent tout en question. Les éducateurs sont alors discrédités au regard des enfants qui ne lui font plus confiance et se méfient des adultes »

« Quand il y a des pathologies parentales irréversibles et que la famille biologique ne peut pas s’occuper des enfants, pourquoi on ne permet pas l’adoption simple ? »

« J’ai connu différentes situations où le fait d’avoir vu régulièrement les parents, ça les a construits»

« La distance s’opère inconsciemment entre AssFam et Enfant, via la professionnelle AssFam. On cherchait des FA pouvant être « adoptantes » à un moment. »

« L’autorité parentale est privilégiée et on occulte le droit de l’enfant »

« Je n’avais pas de pression dans ma famille d’accueil, on parlait et j’étais soutenu même quand il y avait désaccord. J’ai eu la chance d’essayer plein de trucs ! »

«J’aurais préféré être dehors que chez ma mère biologique. Le projet porté par l’institution psychiatrique est compliqué pour le patient, les conséquences peuvent être négatives (culpabilité du patient, sentiment destructeur pour les enfants). Les enfants se disent « et si j’étais comme ça ? »

« Les liens à tout prix résultent d’un positionnement idéologique ; l’enfant doit juste savoir d’où il vient. »

« Loi en cours de changement par rapport aux visites médiatisées »

« La grand-mère apporte des cadeaux aux enfants de la part du père qui est en prison. Il y a une enveloppe avec de l’argent ; l’enfant devient monnayable ! »

« Le parfum est important, ma mère sentait très mauvais, j’en avais l’impression. Ça m’a suivi, je n’arrivais pas à me débarrasser de l’odeur et j’en faisais la réflexion à ma famille d’accueil »

« J’ai connu ma grand-mère, seule femme équilibrée et ayant la santé dans la famille, et je m’entendais bien avec elle. Elle ne pouvait pas s’occuper de moi car elle hébergeait ma mère et ma tante déficientes. Elle m’a raconté l’histoire familiale »

« J’ai décidé de couper les liens à 18 ans avec mes oncles qui ont refusé de me prendre en charge. Pour eux, j’étais un bâtard et ils avaient d’autres préoccupations. Ils avaient honte de ma mère et de moi. J’ai eu une réaction violente vis-à-vis d’eux quand j’ai sorti mon livre et qu’ils ont craint pour leurs réputation ils m’ont menacé « si le nom de famille est sur le livre, on te casse les genoux ». La famille a honte, de ne pas m’avoir pris, de la folie de ma mère (3 pathologies dans fratrie) ».

«La famille d’un des enfants que j’accueille a honte du placement et fait pression sur la mère qui se sent obligée de garder des liens avec son enfant. Les visites sont toujours très compliquées à gérer pour lui et certaines sont annulées en dernière minute. Il y pense longtemps avant et au moins 1 semaine après, ça prend toute la place »

« On rêverait de parents qui disent clairement qu’ils ne veulent pas voir les enfants »

« J’ai fait trop de conneries dans l’avant dernière famille d’accueil et le juge m’a dit « si tu continues, tu retournes avec ta mère ! »

« Dans les foyers, on devient comme les autres, comme les grands. On n’a pas le choix, faut s’en sortir. On reproduit les comportements pour se faire accepter, pour appartenir au groupe. On persécute pour ne pas être persécuté, on rit des faiblesses des autres comme les autres rient des nôtres et on pense à une seule chose : PARTIR ! On trouve le moment et on part à toutes enjambées, heureux de respirer l’air de liberté et quand on est rattrapés on se dit qu’on a au moins eu ces petits bonheurs là ! On nous donne rien alors on rackette les autres et on se vend pour pouvoir fumer. Le sexe devient un commerce, un moyen d’avoir des cigarettes, de la drogue. La plupart finissent comme ça, j’en ai recherché quand j’ai écrit mon livre et je les ai trouvés sur le trottoir. J’ai toujours pensé à l’amour de ma première famille d’accueil. J’ai tenu comme ça, j’y pensais. »