Association d'Assistants Familiaux Lorrains

L’aide sociale à l’enfance dans la tourmente de l’épidémie due au coronavirus

28-03-2020

« C’est totalement explosif » : l’Aide sociale à l’enfance dans la tourmente de l’épidémie due au coronavirus

Les foyers pour mineurs accusent le coup de la crise sanitaire. Au nom des 60 000 enfants qui leur sont confiés, les professionnels du secteur refusent qu’on les oublie.

Par Julie Carriat Publié le 20 mars 2020 à 16h50 - Mis à jour le 20 mars 2020 à 20h30

C’est l’un des services essentiels de la République les plus durement touchés par les conséquences de l’épidémie de Covid-19. L’Aide sociale à l’enfance, avec ses pouponnières, ses foyers gérés par des associations, ses familles d’accueil, ses éducateurs et assistantes sociales se déplaçant chez les familles, voit son travail quotidien lourdement entravé par les mesures de confinement en vigueur depuis mardi 17 mars.

Face à la crise sanitaire, ce service public qui accueille quelque 175 000 enfants et jeunes majeurs – plus de 60 000 sont placés sur décision d’un juge ou par volonté de leurs parents dans des foyers gérés par des associations, les autres dans des familles d’accueil agréées – refuse de se retrouver dans l’angle mort des politiques publiques.

L’épidémie de Covid-19 a d’ores et déjà entraîné l’aménagement à distance des services de visite à domicile. Elle menace également le cœur du système : confinés, les foyers accusent le coup. Depuis la fermeture des écoles, lundi, des milliers d’enfants qui passent habituellement leur journée en classe se retrouvent enfermés jour et nuit dans des bâtiments plus ou moins spacieux, avec ou sans espace extérieur où se défouler.

« Hier, j’ai eu une bagarre au couteau »

C’est dans les foyers urbains que le confinement est le plus durement ressenti. « On n’a qu’une petite cour intérieure, trente enfants, c’est totalement explosif », explique Benjamin Ledoux, à la tête d’une association gérant notamment un foyer rue Monsieur-le-Prince, dans le 6e arrondissement de Paris : « Déjà que le climat actuel est dur, pour des adolescents avec un trouble psychique, c’est la bérézina. Hier, j’ai eu une bagarre au couteau avec un blessé. » Si le confinement se poursuit dans ces conditions, il redoute un drame : « Ce dont j’ai peur, c’est la tentative de suicide, la bagarre qui tourne mal… »

Rue Monsieur-le-Prince, l’anxiété des pensionnaires adolescents se conjugue à l’absence de certains éducateurs, confinés chez eux par précaution médicale, parce qu’ils sont eux-mêmes malades ou doivent garder leurs enfants. Ainsi sur les quarante-deux éducateurs des deux foyers parisiens de l’association, seuls vingt-neuf sont présents. A Poitiers, Claude Fasula, directrice de l’Institut départemental pour la protection de l’enfance et l’accompagnement des familles de la Vienne, recense un taux d’absentéisme inédit, de 17 %, chez les éducateurs.

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En Ile-de-France et dans la région Grand Est, toutes deux très touchées par l’épidémie, l’absentéisme est de l’ordre de 20 % à 30 % parmi les équipes d’un des plus gros acteurs du secteur avec 7 000 jeunes de 6 à 18 ans accueillis au titre de la protection de l’enfance, les Apprentis d’Auteuil. André Altmeyer, directeur général adjoint de la fondation, salue la mobilisation « exemplaire » des éducateurs mais note que, déjà, des équipes sont atteintes par l’épidémie. « Vu la vitesse de propagation du virus, comment allons-nous faire si dans une semaine plus de la moitié de nos personnels sont hors service ? », s’interroge-t-il.

Une difficile continuité scolaire

Pour limiter ces absences, les acteurs du secteur réclament l’inclusion de leurs éducateurs dans le dispositif de garde d’enfant dans les écoles prévu pour les personnels médicaux. Sollicité par Le Monde, le secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, dit multiplier les entretiens avec les représentants des foyers, intervenants à domicile et familles d’accueil : « On est en train de recenser le nombre d’enfants de personnels soignants pris en charge depuis lundi matin pour voir le nombre de places potentielles disponibles. » Le ministère des solidarités et de la santé étudie par ailleurs la possibilité de faire entrer des bénévoles en renfort dans les foyers, notamment des éducateurs sportifs et des professeurs d’éducation physique et sportive, sur une base volontaire.

Au-delà de l’encadrement, la gestion de ces espaces collectifs, où deux enfants peuvent partager une chambre de 15 m2, est problématique. « Les consignes sanitaires sont difficiles à appliquer, la difficulté est réelle en l’absence de matériel : ici et là on peut manquer de gel hydroalcoolique, et partout de masques », explique André Altmeyer pour les Apprentis d’Auteuil.

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Si le secrétaire d’Etat assure que les livraisons de gels « devraient s’améliorer dans les jours qui viennent » grâce au redémarrage de plusieurs unités de production françaises, il reconnaît qu’un questionnement est en cours sur l’opportunité de créer des « structures de desserrement » pour isoler les enfants malades du reste des pensionnaires et de l’encadrement.

« On va sans doute accueillir un chien »

En foyer ou à l’extérieur, le confinement marque aussi la suspension de nombreux services de protection : les visites d’éducateurs à domicile se sont transformées en appels téléphoniques, les consultations de pédopsychiatrie en foyer sont réduites, les interventions culturelles et sportives sont à l’arrêt.

A Poitiers, Claude Fasula peut s’appuyer sur des activités permettant de contenir la nervosité des pensionnaires, facilitées par les jardins dont bénéficient la plupart des foyers de la Vienne : jardinage, construction d’un terrain de pétanque, ou encore achat de consoles de jeu et même adoption d’un animal : « On va sans doute accueillir un chien, ce qu’on n’avait jamais fait, ça permet aussi de faire retomber les tensions ».

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Garantir le suivi scolaire en foyer reste cependant difficile au vu des effectifs et d’un manque structurel d’ordinateurs pour consulter les cours en ligne, même si des réseaux informels d’instituteurs prêtent main-forte en fournissant conseils et contenus scolaires. Au secrétariat d’Etat chargé de la protection de l’enfance, une revue est en cours pour trouver des ordinateurs pour les foyers. Dans tous les cas, « il faut s’assurer que tous les surcoûts qui pourront être générés par cette crise ne soient pas supportés par les associations », assure Adrien Taquet.

« Obligation de signaler les violences au 119 »

Comme dans d’autres secteurs, la crise sanitaire pose la question du maintien d’un service public essentiel mais non médical. Adrien Taquet évoque ainsi la ligne rouge de la protection des enfants victimes de violences dans leur famille en ces temps de crise : « S’il y a des situations qui se dégradent, il faut qu’on puisse activer les mesures d’urgence et que ces enfants soient retirés rapidement » pour être placés.

Mais pour Lyes Louffok, ancien enfant placé désormais éducateur et figure de la défense de ces enfants en difficulté, c’est une évidence : « Les enfants maltraités, nous ne pourrons rien pour eux avant la fin du confinement. » Le jeune homme, qui a lancé cette semaine une plate-forme pour centraliser les témoignages de travailleurs du secteur, dresse ce constat avec d’autant plus d’amertume qu’il estime que les appels au 119 (Allô enfance en danger) vont « flamber ».

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« Le fait d’être confiné, dans les immeubles en particulier, va faire que les situations de violence vont être davantage visibles ou audibles qu’avant. Les citoyens ont l’obligation de signaler les violences au 119, j’espère qu’ils le feront », dit Lyes Louffok, en souhaitant que cette crise sanitaire, « catastrophique » le temps qu’elle durera, débouche au minimum sur une prise en charge renforcée dans les mois qui suivront : « A défaut de s’être préparés à l’épidémie en amont, il faut déjà préparer l’après-coronavirus. »