Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Aide sociale à l'enfance: “avec le confinement, les situations difficiles sont exacerbées”

23-04-2020

Les professionnels en charge de la protection de l'enfance reçoivent de plein fouet la crise du covid-19 et ses conséquences. En Bretagne, près de 17 000 enfants et jeunes majeurs sont confiés à leurs services en accueil ou en soutien à domicile. Une mission rendue difficile avec le confinement.

Par Emilie Colin et Hélène Pédech

Publié le 17/04/2020 à 18:58 Mis à jour le 18/04/2020 à 10:14

Pour Marie-Anne, assistante familiale depuis 15 ans près de Rennes, la situation est devenue explosive.

Elle et son mari accueillent trois adolescents handicapés. La plus jeune, Olivia*, 14 ans, "nécessite beaucoup d'attention. Elle est arrivée chez nous en urgence juste avant le début du confinement. C'est une jeune fille très exhubérante, qui rit très fort ce qui dérange beaucoup, Enzo*, l'un des deux autres jeunes que nous accueillons depuis qu'il est tout petit et qui présente des troubles autistiques et du comportement. Au fil du mois, ses crises sont devenues de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes."

Perte de repères

Habituellement, Enzo est scolarisé dans un institut médico-éducatif (I.M.E). Depuis mi-mars, cet accueil de journée est interrompu ce qui perturbe particulièrement le jeune-homme de 16 ans et demi très attaché à ses repères.

En Ille-et-Vilaine, environ 3 000 enfants et jeunes adultes sont ainsi confiés aux services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) soit dans l'une des 846 familles d'accueil dites "assistantes familiales" soit dans l'une des Maisons d'enfants à caractère social (MECS).

Avec des publics vulnérables, la situation peut basculer très vite

"Pour des jeunes, qui vivent déjà des situations compliquées, un contexte aussi déstabilisant, que celui que nous vivons, peut très vite tout faire basculer... en quelques jours à peine", note Ludivine Calipel, responsable du service Enfance et Famille au Centre départemental d'action sociale d'Ille-et-Vilaine dans les quartiers de Maurepas et Patton à Rennes. "Notre souci, c'est d'éviter que se crée une rupture entre l'enfant et la famille d'accueil, remarque de son côté Elise Augereau, chef du service accueil collectif et familial à la protection de l'enfance d'Ille-et-Vilaine. Leur relation doit tenir sur la durée car nous pensons à l'après-confinement. Cela suppose beaucoup de souplesse de la part des professionnels qui doivent gérer les situations au cas par cas, encore plus que d'ordinaire, ce qui passe parfois par des dérogations." En d'autres termes, des entorses aux règles de confinement peuvent être consenties si le bénéfice est jugé supérieur aux risques.

Familles confinées : "Mettez un cadre en place, sinon ça va être invivable"

C'est ainsi que pour permettre à Enzo de retrouver quelques repères, l'adolescent a été autorisé à retourner à l'I.M.E. à raison de deux matinées par semaine. A compter de lundi prochain, Marie-Anne et son époux partageront également sa garde avec une autre famille d'accueil par roulement de dix jours. Un relais nécessaire aussi pour les assistants familiaux qui pourront ainsi consacrer davantage de temps et d'attention à Olivia ainsi qu'au troisième jeune qu'ils accueillent, Alban*, 17 ans, plus légèrement handicapé mais qu'"il faut tout de même pousser à décoller de sa console, comme beaucoup d'adolescents", raconte Marie-Anne.

Une plateforme de bénévoles

Alban bénéficie d'ailleurs d'un dispositif imaginé au début du confinement par le département. Une plateforme met en relation des volontaires, qu'ils soient ou non agents du département (animateurs de centres de loisirs, éducateurs, bibliothécaires, agents de collèges...) et des assistants familiaux ou bien des maisons d'accueil ayant besoin d'un soutien. Chaque lundi, la directrice du centre de loisirs (fermé) vient donc distraire Alban, et éventuellement Enzo, en proposant des ballades à vélo, des jeux de société ou de simples discussions. Les jeudis, c'est un éducateur sportif de la commune qui vient jouer au ping-pong avec l'adolescent.

Les visites aux parents suspendues

De quoi changer aussi les idées du garçon qui, habituellement, rend visite à sa mère une fois par semaine et doit aujourd'hui se contenter d'échanges téléphoniques. Car depuis un mois, toutes les visites aux parents sont suspendues afin de limiter les risques de propagation du covid-19. "Bien que nécessaire, cela a été une décision très difficile à prendre, explique Elise Augereau. Nous avons bien conscience que cela intente aux droits des parents et des enfants et qu'elle peut générer de la souffrance de part et d'autre."

En prévision et avant le début du confinement, 170 enfants ont pu retourner chez leurs parents "après avoir évalué la capacité de chacun à vivre ensemble et en assurant les arrières si cela se passe mal", assure Ludivine Calipel.

C'est d'ailleurs là, l'une des principales préoccupations des services de protection de l'enfance: veiller à ce qu'aucun enfant ne reste en souffrance dans sa famille. "C'est déjà le cas en temps normal, ça l'est encore plus actuellement".

Davantage de signalement depuis fin mars

"Au tout début du confinement, nous avons eu un effondrement de l’activité [en terme de] signalements. Normalement nous en avons huit par jour. Cela nous a inquiétés mais la plupart du temps ces signalements émanent des écoles. Là comme tous les établissements sont fermés…" rapporte Sylvie Crussière, directrice enfance famille du Morbihan, responsable de l’ASE et de la Protection maternelle infantile (P.M.I.). Depuis quinze jours, "après que les numéros d’urgence aient été rappelés par le gouvernement, les signalement sont revenus" avec maintenant une moyenne de six appels quotidiens pour le Morbihan.

Ce constat est général. Depuis le début du confinement, le nombre d'appels au 119 a augmenté de 20% en France.

En Ille-et-Vilaine, une structure d'accueil de dix places a été organisée à Dinard, dans des locaux vacants, pour recevoir des jeunes en cas d'urgence.

Un suivi adapté

Pour les enfants restés dans leurs familles qui font déjà l’objet d’un suivi, les éducateurs doivent prendre contact avec eux, au moins trois fois par semaine par téléphone. "Pour ceux qui peuvent s’exprimer, l’éducateur doit avoir une conversation de vive voix avec eux", précise Sylvie Crussière. Elle souligne : "La parole empêchée d’un enfant, ça s’entend. Nos éducateurs connaissent bien leurs dossiers et feront le nécessaire si le besoin se fait sentir."

"En cas de doute, plusieurs professionnels vont téléphoner tour à tour : assistante social, pédo-psychiatre, péricultrice, etc..." explique Elise Augereau. "Finalement, on se rend compte que beaucoup de parents se livrent beaucoup par téléphone."

Dans les familles, où des situations plus délicates avaient été identifiées comme telles avant le confinement, des visites à domicile sont organisées. "La difficulté aujourd’hui c’est que certaines n’acceptent pas ces visites, à cause de l’épidémie ou se cachent derrière cette excuse", concède Sylvie Crussière. Pour des refus jugés inquiétants, un signalement pourra être fait auprès du Parquet. Si ces visites ne peuvent pas avoir lieu à domicile, un lieu neutre est proposé, pour permettre un échange confidentiel "où la parole de l’enfant pourra se libérer."

Notre plus grande crainte : ce que l'on ne voit pas !

Néanmoins, les cinq professionnelles, avec lesquelles nous nous sommes entretenues, reconnaissent toutes avoir peur de découvrir des situations très dégradées à la levée du confinement, des situations de souffrance qui auront évolué dans le huis clos des familles, sans que les institutions habituellement lanceuses d'alertes comme l'école, la crèche aient pu jouer leur rôle de repérage.

Vanina Lefebvre, responsable du territoire d’intervention social de la périphérie de Vannes confie avoir "un peu peur de ce qu’on ne voit pas. Le contact qui est indispensable dans nos métiers est plus compliqué. Il est impossible de jauger une situation en entier sans voir."

Deux à trois jours pour intervenir contre trois semaines auparavant

"Le signalement des situations problématiques risque d'être encore reporté avec l'approche des grandes vacances", s'inquiète pour sa part Elise Augereau qui aimerait qu'un dispositif d'alerte facilement accessible soit mis en place pour les enfants en souffrance à l'instar de ce qui a été organisé dans les pharmacies pour les personnes victimes de violences conjugales.

Vanina Lefebvre relève néanmoins un aspect positif : "Aujourd’hui, on peut activer les choses plus rapidement, parce que les procédures ont été simplifiées. Le cœur du métier est à nouveau là. Tous les acteurs s’organisent rapidement pour répondre aux familles. Les délais pour une intervention sont raccourcis : trois semaines aupararavant contre deux à trois jours maintenant. Ce serait bien de garder cette réactivité après la levée du confinement."

* Les prénoms ont été modifiés.