Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Les départements ne veulent pas lâcher l’aide sociale à l’enfance

08-11-2023

Depuis que la secrétaire d’Etat chargée de l’enfance, Charlotte Caubel, a déclaré dans la presse que le gouvernement était prêt à « envisager » la recentralisation de la protection de l’enfance, la bataille fait rage entre ceux qui en sont partisans et les départements.

« Nous sommes prêts à envisager de recentraliser la protection de l’­enfance ». En quelques mots, début octobre, dans le « Figaro », la secrétaire d’Etat chargée de l’­Enfance, ­Charlotte ­Caubel, a ouvert les hostilités avec les conseils départementaux. « Ce n’est pas en nous menaçant d’une recentralisation que l’on aborde un débat sérieusement ! » a immédiatement réagi ­François Sauvadet, président (UDI) du conseil départemental de la Côte-d’Or et de l’association ­Départements de ­France.

Il dénonce « une insulte envers nos agents et salariés dévoués […] et une mise en cause des présidents de ­département ». La ­question de la protection de l’enfance, hautement ­sensible, fait ­régulièrement l’objet de reportages chocs pour dénoncer les mauvaises conditions de vie des enfants placés et blâmer l’action ou l’­inaction des départements.

Décisions de justice non exécutées

Après chaque scandale, des acteurs de terrain appellent à la recentralisation de la compétence, dévolue aux départements depuis 1983. Mais, cette fois, ils y croient. « Je suis davantage optimiste que ces dix dernières années car le sujet n’est plus tabou », avance Lyes Louffok, militant pour les droits des enfants en pointe dans ce combat. Il faut dire que les critiques répétées d’­Emmanuel Macron contre l’actuelle orga­nisation décentralisée sont vues comme une opportunité pour une réforme plus globale, qui contiendrait la recentralisation de l’ASE.

D’autant plus qu’il y a urgence, d’après les militants de terrain. « Le système est à bout de souffle. Il est saturé et a déjà explosé », alerte Lyes Louffok. Il observe, depuis le ­Covid, une forte hausse des mesures judiciaires non ­exécutées. « Certains départements ont des difficultés à gérer l’augmentation du nombre de mesures judiciaires alors qu’ils s’en sortaient plutôt bien avant », s’inquiète-t-il, en citant les 90 enfants en attente de placement dans la ­Mayenne ou les 200 dans la collectivité européenne d’­Alsace.

« Des départements investissent fortement sur des compétences non obligatoires ou sur la création de ronds-points au détriment de compétences obligatoires telles que l’ASE, alors que l’on a des enfants qui sont en danger », pointe Lyes Louffok.

Des reproches auxquels le président de la ­République et ­Brigitte ­Macron, très active sur la question de l’enfance en danger, seraient attentifs. Les partisans d’une recentralisation de l’ASE agissent en coulisses. « La Gazette » a, par exemple, pu consulter une note envoyée fin septembre par le sénateur (Renaissance) ­Xavier ­Iacovelli à l’Elysée, le même qui a déposé une proposition de loi en ce sens, début 2022.

Il y décrit les inégalités d’accès au droit et de qualité d’accueil d’un département à l’autre, avec un accroissement de l’inexécution des décisions de justice. Il pointe aussi le coût social de ces dysfonctionnements pour les enfants, avec « 70 % des jeunes de l’ASE qui n’ont aucun diplôme ».

Il souligne la dilution des responsabilités entre de nombreux acteurs, malgré des réformes législatives. « Les départements n’ont pas réussi à démontrer leur plus-value de proximité, de prévention et de sensibilisation des familles, vu que 85 % des décisions de placement sont judiciaires, regrette-t-il. L’ASE ne leur apporte pas une voix électorale et pèse sur leurs finances car ils ne peuvent pas prévoir les dépenses et le nombre d’enfants à accueillir d’une année à l’autre. Mais ils ne veulent pas lâcher cette compétence parce qu’ils craignent l’ouverture de la boîte de Pandore. »

Le retour des Ddass ?

Du côté des départements, quelle que soit la couleur politique, l’idée d’une recentralisation de l’ASE est vue comme une aberration. « Peut-on sérieusement penser que le fait de confier nos agents à l’Etat permettrait de résoudre les problèmes ? Peut-on souhaiter le retour des Ddass d’antan ? » s’emporte François ­Sauvadet.

« Cela se saurait si la santé était égalitaire dans tous les territoires de France et si l’application de la justice ou l’Education nationale l’étaient également ! » complète Jean-Luc ­Gleyze, président (PS) de la Gironde et du groupe des départements de gauche à Départements de ­France.

« J’y suis fortement opposée, commente, de son côté, ­Florence ­Dabin, présidente [centre-droit] de Maine-et-Loire, vice-présidente chargée de l’enfance à ­Départements de France et présidente du GIP Enfance protégée. Pour faire du cousu main pour les enfants, il y a besoin de se connaître et de pouvoir appeler la bonne personne. Plus on s’éloigne des réalités du terrain, plus nous sommes en difficulté. »

Un appel pour des états généraux

Sur le terrain, justement, les départements assurent que les problèmes sont bien pris en ­compte. « Il faut pondérer les critiques. Il n’y a jamais eu autant de moyens financiers et humains pour l’aide sociale à l’enfance. Tous les départements veulent trouver des solutions adaptées à chaque enfant », rappelle ­Florence ­Dabin. Mais le nombre d’enfants à prendre en charge est en constante augmentation.

Elle insiste sur la nécessité d’intervenir au cas par cas, ce qui est impossible quand les services de l’Etat ne suivent pas : « J’implore les différents ministères concernés pour que les compétences régaliennes soient remplies par l’Etat. » « C’est l’écosystème de la protection de l’enfance qui déraille », assure Jean-Luc Gleyze.

Fin août, il a d’ailleurs appelé, dans une lettre ouverte, à l’organisation d’états généraux regroupant tous les acteurs de la protection de l’­enfance afin de démêler la situation. Une demande qui n’a pas été suivie par les présidents de droite. Selon eux, la priorité devrait plutôt être donnée à la gestion de la présence croissante, dans l’­Hexagone, des mineurs non accompagnés (MNA), dont la hausse des arrivées est ­constatée un peu partout.

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De nombreux territoires dirigés par la droite réclament donc que les MNA sortent totalement des dispositifs de l’ASE, comme le ­Territoire de ­Belfort, qui vient de voter une motion pour ne plus les prendre en charge, alors que ce serait contraire au droit international et discriminatoire, selon l’Unicef.

Bientôt 44 000 mineurs non accompagnés

« On sera probablement à 44 000 MNA à la fin de l’­année. On ne peut plus faire face. Le fait migratoire ne relève pas de la compétence des départements », indique ­François ­Sauvadet. Même si, selon nos informations, un ­député devrait bientôt être nommé à la tête d’une mission gouvernementale sur la recentralisation de l’ASE, l’élu veut croire que ce point de vue n’est pas celui de l’exécutif. « Je sais que ce n’est pas la position de la Première ministre », assure-t-il.

Le gouvernement confirme que cette option ne réglerait pas toutes les difficultés. « Le problème de la recentralisation est qu’il faudrait recréer une administration car, si c’est pour continuer avec le tissu associatif existant, rien ne changera », souffle l’un de ses proches.

Malgré les objections, ­Xavier ­Iacovelli­ et Lyes ­Louffok n’en démordent pas : « La recentralisation est un préalable à toute réforme systémique de la protection de l’enfance. » Les assises des Départements de ­France, qui se dérouleront du 8 au 10 novembre, à Strasbourg, promettent de vifs débats sur le sujet.

FOCUS

La difficile gestion du handicap

L’un des problèmes principaux des départements concerne l’accueil et l’accompagne­ment des enfants en situation de handicap. Surreprésentés dans les services de l’aide sociale à l’enfance, ils auraient en réalité besoin d’un accompa­gnement particulier et adapté, dans un institut spécialisé. « La prise en charge n’est pas la bonne et ce sont les départements qui paient en lieu et place de l’Etat », critique Jean-Luc Gleyze, président de la Gironde.

Cette urgence pour les départements n’est pas niée par le gouvernement, mais pas question pour autant d’ouvrir des places en plus, qui coûteraient cher. L’objectif est de déployer des dispositifs où le médicosocial se rapproche de l’école afin que les prises en charge se fassent hors des instituts médicoéducatifs.

FOCUS

« Il appartient à l’Etat et au législateur, au gouvernement, de fixer les cadres et les objectifs »

Charlotte caubel, secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance

Certains pensent que recentraliser est la seule solution pour assurer une meilleure prise en charge des enfants. Et vous ?

Je suis évidemment convaincue que l’Etat ne ferait pas nécessairement mieux tout seul et qu’il faut donc continuer la coopération Etat-départements. Pour toutes les populations fragiles, plus on est près d’eux, meilleurs on est.

Mais il appartient à l’Etat et au législateur, au gouvernement, de fixer les cadres et les objectifs. Et c’est ce qui a été fait dans trois lois en matière de protection de l’­enfance, en 2007, en 2016, puis en 2022. Je suis aussi consciente du dernier rapport du Sénat, qui nous dit que ces lois ne sont pas ­correctement appliquées.

Les départements mettent, eux, en avant les défaillances de l’Etat sur la pédopsychiatrie, la protection judiciaire de la jeunesse, l’Education nationale…

Je travaille avec l’Education nationale et avec l’enseignement supérieur pour éviter les déscolarisations et faciliter l’évaluation des compétences et, donc, les orientations. Je pense que cela fera partie des annonces que nous formulerons à l’occasion du comité interministériel à l’enfance.

Les assises de la santé des enfants vont aussi apporter une réponse transversale pour la santé des enfants, y compris dans les ­thématiques de psy et de pédopsychiatrie.