Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Aide sociale à l'enfance: et les parents, que deviennent-ils?

20-11-2023

Azélys Marin — Édité par Natacha Zimmermann — 17 novembre 2023 à 19h47

S'il est dans certains cas nécessaire de couper les liens familiaux, leur réparation est généralement un enjeu crucial dans la reconstruction de l'enfant comme dans la recherche d'équilibre du parent.

«Mes enfants auraient pu vivre normalement s'ils étaient restés chez moi.» C'est ce qu'estime Jenifer qui, depuis 2007, tente de retrouver sa place de mère dans une existence marquée par les coups. À la suite d'une union avec un homme brutal, aujourd'hui incarcéré pour trafic de stupéfiants, elle a porté cinq enfants. Chacun d'entre eux a été placé par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Le point de départ de cet éclatement familial a été un appel au secours: «Des problèmes financiers m'ont amenée devant une assistante sociale», précise-t-elle. Un premier rendez-vous qui a conduit à un signalement auprès de l'ASE.

Catherine aussi est une mère célibataire suivie par l'aide sociale à l'enfance. Après plusieurs opérations et un accouchement, elle n'était plus en capacité physique de prendre soin de son fils. Elle a donc contacté l'ASE. «Au départ, mon garçon a été placé en famille d'accueil, mais j'ai pu le récupérer grâce au soutien à domicile de deux éducateurs spécialisés.» Sauf que rapidement, «un rapport a établi qu'[elle] étai[t] en burn-out parental ». Son monde s'est effondré.

Parent, «le seul métier que l'on n'apprend pas»

Comme pour les enfants de Jenifer et Catherine, ce ne sont pas moins de 377.000 mesures d'aide sociale à l'enfance qui étaient en cours fin 2021, renseigne la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Entre mesures administratives ou judiciaires, action éducative en milieu ouvert ou encore placement à domicile, les dispositifs se superposent sans forcément entraîner l'adhésion et la compréhension des familles. Or, à cet enchevêtrement s'ajoute celui de chemins de vie houleux où les impasses s'accumulent.

Alors que l'ASE peut dans certains cas être amenée à couper les liens familiaux, les restaurer reste un enjeu crucial. Leur existence peut non seulement jouer un rôle important dans la reconstruction de l'enfant, mais aussi aider le parent à trouver un équilibre. Cette dimension n'a pourtant pas toujours été prioritaire aux yeux de l'institution. Emmanuel Gratton, psychologue, sociologue et maître de conférences à l'université d'Angers, créateur du diplôme universitaire «soutien à la parentalité», rappelle à cet égard qu'«à la fin des années 1990, l'idée d'accompagnement et de prise en compte des compétences des parents, non plus dans une dynamique de domination mais de coconstruction, était vraiment nouvelle».

Dans cette perspective, les conseils départementaux, décisionnaires en matière de politiques sociales et familiales, émettent des appels à projets pour diversifier les options de prise en charge. Notamment parce que le milieu ouvert traditionnel (l'action éducative en milieu ouvert, soit l'intervention à domicile d'un travailleur social) est moins coûteux: environ 8 euros par jour, contre 45 à 50 euros pour un suivi renforcé avec hébergement et autour de 120-130 euros (parfois jusqu'au triple) pour un placement traditionnel, d'après un rapport parlementaire daté du 6 juin 2019.

Si tout cela est positif, selon Me Lamy, avocate au barreau de Paris spécialisée en droit de la famille, l'encadrement proposé par le tribunal n'est pas toujours à la hauteur. «Au sortir d'une audience, on n'explique pas aux parents, qui plus est en état de choc, ce que les mesures choisies impliquent», regrette-t-elle. Un manque de communication d'autant plus dommageable en cas de manque d'instruction ou lorsque la famille ne maîtrise pas le français.

Ces obstacles rendent plus difficile encore l'exercice des droits parentaux, un éventuel recours en appel et même la pure et simple mise en œuvre des mesures éducatives. Et ce, alors qu'«être parent, c'est le seul métier que l'on n'apprend pas, les familles doivent être soutenues», renchérit l'avocate.

Déconstruire l'imaginaire familial

Les décisions du juge sont ensuite appliquées grâce aux acteurs de terrain, les travailleurs sociaux, qui doivent respecter le cadre à l'intérieur duquel va s'exercer l'autorité parentale, rarement retirée. Une aide contrainte, délicate à apporter, notamment lorsqu'elle renvoie le parent à ses propres vulnérabilités. «Plus le vécu est lourd, notamment quand la question du psychotraumatisme n'est pas traitée, comme dans le cas de violences sexuelles, plus ce sera difficile d'accompagner son enfant», détaille Lallazahra Ruiz, directrice départementale du Groupe SOS jeunesse, premier acteur associatif de la protection de l'enfance, en Indre-et-Loire.

À ces entraves, peuvent s'ajouter des conditions socio-économiques dégradées. Or, «lorsque l'on exige du parent qu'il trouve une solution de soin alors que les liste d'attente pour les centres médico-psychologiques ne cessent de s'allonger, c'est extrêmement compliqué», note la responsable.

Afin d'aider au mieux sans entrer en rivalité avec les parents, les professionnels doivent composer avec ces difficultés, en plus de se départir de leurs propres représentations. Même s'«il existera toujours des travailleurs sociaux très directifs, qui interviennent avec une conception déterminée du rôle de parent», concède David Storez, chef de service au Village d'enfants et d'adolescents d'Amboise (Indre-et-Loire).

Les vécus peuvent aussi se percuter. «Il y a des situations qui font écho à notre propre histoire», reconnaît Olivier, éducateur spécialisé rattaché au Centre d'action éducative et sociale de Monnaie (CAES 37), également en Indre-et-Loire. Dans ce cas précis, il est important «d'être alerte quant à ce que l'on ressent, pour pouvoir repérer une situation qui nous touche et analyser si ce vécu commun nous met en difficulté avec la famille», décrypte Thibaut, lui aussi éducateur.

Des espaces de rencontre saturés

Au-delà des dynamiques tant internes qu'intrapersonnelles, le rôle de tous ces acteurs peut également être compromis par la géographie et l'envergure des structures. Notamment parce que la délégation progressive aux établissements de la gestion de la situation du jeune et de l'accompagnement de ses parents a des conséquences sur la configuration des lieux d'accueil.

Au Village d'enfants et d'adolescents d'Amboise, un pavillon commun, d'abord dédié aux visites, a ainsi été transformé en un lieu d'hébergement permettant de loger pour quelques nuits un parent ou un autre membre de la famille. La création de tels espaces de rencontre, propices au maintien du lien parent-enfant, est nécessaire et urgente: à l'heure actuelle, «les lieux neutres sont difficilement accessibles, ils sont saturés», pointe Me Lamy, chargée de faire respecter le droit de visite de ses clients.

Un constat partagé par Catherine, dont le fils a été placé à plusieurs kilomètres de chez elle. Les rendez-vous et les allers-retours incessants entre son domicile et le lieu de vie de son enfant l'épuisent, en plus de l'empêcher du trouver un emploi stable. «Comment une entreprise pourrait miser sur une personne qui n'est pas disponible plusieurs après-midis par semaine?, s'exclame-t-elle. Je suis constamment en déplacement pour aller voir mon fils. S'il était chez moi, ce serait plus simple.»

Prononcé en dernier recours, le placement des enfants en dehors du domicile familial représente pourtant plus de la moitié (54%) des mesures prises par l'ASE, selon le rapport de la Drees. Une séparation parfois nécessaire, mais aussi difficilement conciliable avec la restauration de liens abîmés par la pauvreté. «Aujourd'hui, je ne demande même plus à récupérer mes enfants, je n'en ai pas les moyens, déplore Jenifer. Mais j'aimerais au moins être reconnue comme une mère qui a fait de son mieux.»

https://www.slate.fr/story/256296/aide-sociale-a-lenfance-face-parents-liens-famille-enfants-places-pauvrete?utm_source=ownpage&utm_medium=newsletter&utm_campaign=daily_20231118&_ope=eyJndWlkIjoiMzQzZmQwNWFkNjk2MmE0NDEyZmNlMDliMGU4MWNjNWIifQ%3D%3D