Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Aide aux jeunes majeurs de l’aide sociale à l’enfance : « on nous fait les poches ! »

29-01-2024

Annoncé pour répondre à la situation dramatique des enfants placés, isolés et sans ressources après leur majorité, le forfait de 1 500 euros ne convainc pas les associations.

Par Lou Roméo

Publié le 23/11/2023 à 10h01

Pour tenter de répondre à la situation dramatique des anciens enfants placés, qui se retrouvent pour beaucoup à la rue une fois leur prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) achevée, Élisabeth Borne a proposé ce lundi, lors de l'annonce du nouveau plan de protection de l'enfance, de leur verser un « pack autonomie jeunes majeurs », une aide de 1 500 euros qui leur serait allouée automatiquement à 18 ans.

Les enfants placés – ils sont actuellement environ 155 000 en France – se retrouvent en effet pour beaucoup dans une situation difficile une fois sortis de l'ASE. Jeunes majeurs sans famille, sans réseau et sans ressources – 70 % d'entre eux sortent de l'ASE sans diplôme –, ils représentent ainsi un quart des sans-abri français, et un tiers des personnes de moins de 25 ans à la rue.

« Il va y avoir énormément de perdants ! »

Cette aide universelle de 1 500 euros peine néanmoins à convaincre les associations du secteur, même si ses modalités doivent encore être précisées. « C'est encore très flou, on ne sait pas si ces 1 500 euros vont être universels et profiter à tous les jeunes, ou s'il y a une conditionnalité, souligne Diane Semerdjian, au nom du collectif Cause Majeur !, qui regroupe les vingt plus grosses associations de protection de l'enfance. On ne comprend pas d'où viennent ces 1 500 euros. On attendait un changement de cap, nous sommes dans la sidération, rien n'est prévu pour améliorer l'accompagnement… Nous nous tenons à la disposition du gouvernement pour élaborer une feuille de route plus concrète et plus en phase avec les attentes du secteur. »À lire aussi Territoires d'outre-mer : l'Unicef alerte sur la situation des enfants

Les jeunes majeurs de l'ASE bénéficient depuis 2016, à leurs 18 ans, d'un « pécule » constitué par le placement de leurs allocations de rentrée scolaire, année après année, sur un compte de la caisse des dépôts. Problème : si, dans les faits, beaucoup n'y ont pas accès, faute d'être informés sur le sujet, le nouveau « coup de pouce financier » pensé par le gouvernement se révèle moins intéressant pour beaucoup, en particulier les enfants placés sur une longue durée.

« Le dispositif actuel n'est pas parfait, mais, concrètement, avec cette mesure, ils nous font les poches ! » s'insurge ainsi Lyes Louffok, ancien enfant placé devenu éducateur spécialisé. Il a fait le calcul : pour un enfant « placé entre ses six ans et ses dix-huit ans, le pécule actuel représente 4 588 euros, plus les taux d'intérêt. Le gouvernement propose un forfait de 1 500 euros pour tous. Si l'un remplace l'autre, il va y avoir énormément de perdants ! »

Accompagner les jeunes jusqu'à 25 ans

Le jeune homme dénonce également les « cérémonies de majorité » que le gouvernement veut voir organiser dans les départements pour fêter les 18 ans des enfants placés. « J'ai envie de pleurer, fulmine-t-il. Pour moi, il s'agit d'une régression face au droit actuel. Ces mesures ne sont là que pour masquer l'absence totale de politique vis-à-vis des jeunes majeurs. La seule chose qu'on leur propose, c'est une cérémonie, durant laquelle ils pourront manger des petits fours et boire du champagne avant de finir à la rue. »

L'homme pointe l'absence de solutions pour le logement dans le plan du gouvernement, alors que des alternatives existent pourtant. « Il faudrait par exemple que des places de logements sociaux soient réservées aux anciens de l'ASE sur les contingences de la préfecture, explique-t-il. On pourrait aussi créer davantage de dispositifs de suite, pour continuer à accompagner les gamins, passés 18 ans, parce que lorsqu'on sort de l'ASE, on est complètement isolé, sans logement ni réseau… On pourrait avoir une politique bien plus ambitieuse, plutôt que ce plan qui risque d'aggraver la situation. »

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Pour les associations, le problème est en effet loin d'être uniquement d'ordre financier. L'accompagnement, surtout, est essentiel. Cause Majeur ! milite ainsi pour que les jeunes majeurs sortant de l'ASE puissent bénéficier d'un accompagnement jusqu'à 25 ans, un âge jugé crucial pour réussir son passage à l'âge adulte – l'âge moyen de départ du domicile parental en France est d'environ 24 ans.

La loi Taquet de 2022 inégalement appliquée

Pour l'instant, un dispositif, prévu par la loi Taquet, adoptée en février 2022, permet la poursuite de l'accompagnement jusqu'aux 21 ans de l'enfant pour éviter les « sorties sèches » de l'ASE, sans accompagnement. Mais, selon une étude de Cause majeur !, ce dispositif, à la charge des départements, reste encore trop inégalement appliqué. Le collectif déplore ainsi un bilan en demi-teinte, remarquant que depuis son entrée en vigueur, la loi n'a pas permis d'augmenter le nombre d'accompagnements de jeunes majeurs, et notant que des départements continuent à formuler des refus d'accompagnement aux motifs opaques.

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Les associations appellent également à mieux travailler, en amont, la stabilité des parcours des enfants placés afin de faciliter le déroulement de leur scolarité, et à leur laisser le choix de leurs formations, beaucoup d'entre eux étant poussés à faire des études courtes de type CAP afin de commencer à travailler rapidement.

« On est très doués pour faire des discours, pointe, amer, Lyes Louffok, mais il faudrait les rendre effectifs. Les enfants placés, ce n'est pas un problème récent, on le rencontre depuis la Seconde Guerre mondiale. Les gamins de l'Aide sociale ont toujours été jetés dehors, et à la rue. Mais si on ne s'en soucie pas, ils reviennent en boomerang. On les retrouve ensuite en psychiatrie, en prison, en prostitution, au RSA, à la rue, en situation de handicap… Il faut qu'on brise ce cercle, qui coûte à la société. Nous avons besoin d'une vraie volonté politique. Je suis très frustré. »

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