Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Aide sociale à l’enfance : « la situation est chaotique »

17-06-2024

La commission d’enquête parlementaire sur les « défaillances » de l’ASE a commencé ses travaux mardi.

Les anciens enfants placés attendent des réponses fermes.

Par Nathan Tacchi

Publié le 15/05/2024 à 07h30

Anthony, Jess, Nour, Méline, Myriam, Lily… Cette funèbre liste de mineurs décédés au cours de leur placement à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) restera longtemps gravée dans la mémoire de Lyes Louffok. « Il n'y a pas plus révélateur de la crise que l'Aide sociale à l'enfance traverse. Il faut se rendre compte qu'aujourd'hui, des enfants placés pour leur protection, par des décisions de justice, se retrouvent encore plus en danger dans le cadre de leur prise en charge à l'ASE que dans leur famille », s'attriste le cofondateur du Comité de vigilance des enfants placés, un collectif de plus de 230 anciens enfants confiés à l'ASE.

Depuis de nombreuses années, de nombreux rapports institutionnels et associatifs pointent les défaillances de l'Aide sociale à l'enfance en France. Entre 7 500 et 10 000 mineurs de l'ASE sont hébergés à l'hôtel. Avec quatre fois plus de chances d'être déscolarisés, 20 % de ces jeunes se retrouvent sous le seuil de pauvreté à leurs 18 ans. 26 % des personnes sans domicile nées en France sont des « anciens de l'ASE », alertait en 2019 la Fondation Abbé Pierre.

En 2020, la Cour des comptes étrillait la gestion de l'ASE, évoquant des parcours « longs et chaotiques ». « Le parcours de l'enfant doit être repensé pour assurer une orientation adaptée à chacune des situations et une prise en charge plus sécurisante », soutenaient alors les sages de la rue Cambon.

Pour essayer d'y voir plus clair, pour « identifier les manquements qui ont conduit à la situation actuelle, cibler les défaillances de sa gouvernance et faire des recommandations », une commission d'enquête parlementaire a commencé ses travaux mardi.

« À qui incombe la responsabilité des dysfonctionnements ? »

En France, 377 000 enfants, adolescents et jeunes majeurs victimes de violences ou de négligences sont actuellement pris en charge par l'ASE. « Historiquement, c'est la première fois qu'une commission d'enquête se saisit de ce sujet. J'espère vraiment qu'elle fera l'effet d'un électrochoc pour notre société. Ces enfants, ce sont les enfants de la République. Nous devons être à la hauteur. L'urgence est absolue », explique au Point Isabelle Santiago, députée PS et rapporteure de cette commission d'enquête.

Initiative des députés socialistes, la création de cette commission a été saluée par l'ensemble des groupes parlementaires. Mais les attentes de cette commission sont encore nombreuses. Réunis au sein du collectif Le Comité de vigilance des enfants placés, ces anciens de l'ASE comptent veiller à la qualité des travaux et ont été auditionnés dès mardi après-midi par les parlementaires.

« Tous les rapports produits ces dernières années n'abordent peu ou pas la question de la responsabilité des dysfonctionnements. À qui incombe cette responsabilité ? Les auditions des présidents de département vont être intéressantes à ce niveau-là », relève Lyes Louffok, qui décrit une situation « chaotique » et « dégradée » pour les enfants placés.

La situation est telle que le Syndicat de la magistrature alertait dans un rapport début mai d'un renoncement de 77 % des juges des enfants à prendre des décisions de placement d'enfants en danger dans leur famille en raison d'une absence de place ou de structure adaptée à leur accueil. « Nous attendons de cette commission une transparence totale des lacunes existantes. Des personnes vont devoir répondre de leurs manquements et des restrictions budgétaires faites sur la protection de l'enfance. Notre objectif : remettre les besoins des enfants au centre des débats », ajoute Anniela Lamnaouar, porte-parole de l'association Repairs, membre du CNPE (Conseil national de la protection de l'enfance) et membre du Comité de vigilance des enfants placés.

Des réformes structurelles attendues

« Aujourd'hui, certains veulent changer le terme d'enfant “placé” par “enfant protégé”. Pour ma part, je continue à dire “placé”. Quand on aura des politiques réelles de protection de l'enfance, je dirai “protégé” », lance Anniela Lamnaouar.

Les membres du Comité attendent de cette commission des propositions et des réponses « aux problématiques systémiques » vécues, sur les questions d'accompagnement éducatif, social et financier, sur les contrats jeunes majeurs qui ont montré leurs limites, sur les questions d'aides psychologiques, sur la stabilité des placements, sur l'insertion professionnelle, entre autres.

Isabelle Santiago appuie notamment sur la question de la prise en charge psychotraumatique de ces jeunes, sa « priorité absolue ». « Ces enfants ne peuvent avoir un développement sain à cause de leurs traumatismes, des abandons vécus, y compris à l'ASE, la perte de confiance dans l'adulte, etc. Et ces traumatismes amènent à l'adolescence à des problématiques majeures. Comment voulez-vous qu'un enfant de quatre ans, déjà passé par cinq familles, puisse se développer de manière sereine ? » explique la députée PS.

Le rapport devrait être présenté fin septembre

Le secteur de l'Aide sociale à l'enfance traverse aussi une crise de vocation. Faute de professionnels, des établissements réduisent leurs capacités d'accompagnement, voire ferment. Dans une tribune dans Le Monde rédigée par la professeure de médecine Céline Greco, un collectif d'associations, d'acteurs de la protection de l'enfance et de politiques, quelque 200 signataires ont appelé à revaloriser les salaires et à améliorer les conditions de travail des travailleurs sociaux de la protection de l'enfance. « Laisser aujourd'hui à l'abandon le métier de travailleur social de la protection de l'enfance est une faute […] Pour nos enfants, pour l'avenir de notre société, ne laissons plus nos héros dans l'oubli. »

À lire aussi Aide aux jeunes majeurs de l'Aide sociale à l'enfance : « On nous fait les poches ! »Les trente parlementaires de la commission auront jusqu'à la mi-juillet pour aborder l'ensemble de ces problématiques, dont les questions de disparités départementales qui empêchent le bon accueil de certains jeunes. Le rapport final sera présenté fin septembre.

D'ici là, Lyes Louffok prévient : « Nous espérons que cette commission sera à la hauteur et apportera de réelles solutions et non des petits pansements sur des plaies béantes. Il y a toujours ce risque que nos espoirs soient déçus, mais nous ne nous laisserons pas faire. L'ensemble des membres du Comité sont très déterminés cette fois-ci à obtenir des résultats concrets. Et si cela ne passe pas par les travaux de cette commission d'enquête, nous continuerons à mobiliser l'opinion publique pour avoir un rapport de force favorable à l'obtention de réformes. »