Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Familles d’accueil : le cumul d’emplois peut-il stopper l’hémorragie ?

17-06-2024

Par Julia Mokdad le 29.05.2024 à 16h39

Face à l’inquiétante pénurie de familles d’accueil en France, le sénateur Renaissance Xavier Iacovelli veut lever un frein au recrutement en les autorisant à exercer un deuxième emploi.

« Aujourd’hui, on préfère ballotter des gamins d’hôtel en hôtel parce qu’on n’a pas de place en famille d’accueil plutôt que de les confier à une assistante qui a déjà un emploi », s’étouffe Lyes Louffok, militant pour la protection de l’enfance. Ancien enfant placé, il compte sur la proposition de loi du sénateur Renaissance Xavier Iacovelli – examinée durant la journée de niche du groupe RDPI ce mercredi – pour envoyer un signal fort aux départements : autoriser le cumul d’emplois pour les assistants familiaux « est devenu une obligation morale », prévient-il.

Conditions de travail dégradées

Depuis plusieurs décennies, la France perd dangereusement ses familles d’accueil. En 2023, ce mode d’accueil concernait 40 % des enfants faisant l’objet d’une mesure de protection, soit 14 points de moins qu’en 2010. En cause, les conditions de travail difficiles et un manque d’accompagnement de la part du département. « On regarde la courbe s’écraser. Dans certains départements, les éducateurs référents, qui doivent gérer en moyenne 25 à 30 situations, en gèrent 70, raconte Thierry Herrant, responsable plaidoyer à l’Ufnafaam (Association nationale regroupant des assistants maternels et familiaux). Des assistantes racontent qu’elles n’ont pas vu leur référent depuis un an ».

De bouche à oreille, l’image du métier perd son éclat. Et faute de recrutement suffisant, les familles d’accueil se « grand-périsent » : selon une étude de la Drees, en 2021, la moitié des assistants familiaux étaient âgés de 55 ans ou plus et un quart avaient atteint ou dépassé l’âge de 60 ans, posant inévitablement la question du départ à la retraite.

Des cumuls « rarissimes »

S’il n’existe aucune donnée sur le nombre d’assistants familiaux cumulant deux emplois, ces cas sont « rarissimes », selon Thierry Herrant, même si la loi l’autorise déjà pour les salariés du secteur privé. Pour ces derniers, les refus des départements répondraient « à des motivations idéologiques plus que juridiques » : « On considère qu’un assistant doit être entièrement disponible, 24/24 heures et 7/7 jours », souligne le militant Lyes Louffok. Et certains départements ne seraient « même pas au courant de cette possibilité », selon le sénateur, qui fustige « les 101 politiques différentes » de protection de l’enfance en France.

Une « carence » dans le système, selon Claire, cheffe d’entreprise et mère de 4 enfants qui souhaitait accueillir des enfants en attente de placement, ou dans des situations d’urgence. « Grâce à mon activité, mon luxe, c’est le temps. Je peux me rendre disponible à n’importe quel moment, prendre une semaine de congé quand ce n’est pas prévu, me plier aux contraintes », explique celle qui s’est vu refuser sa demande à cause de sa profession.

Droit au répit

Autoriser les assistants familiaux à exercer un emploi parallèle permettrait a minima de créer un « pool de remplacement », avec des familles qui, si elles ne gardent pas des enfants en continu, pourraient tout de même être des familles « relais » selon le sénateur Xavier Iacovelli. Pour améliorer la situation des assistants, la loi Taquet de 2022 prévoyait au moins un week-end de repos mensuel mais sans remplaçants disponibles, les départements « refusent très souvent les demandes », explique Thierry Herrant. En 2021, 88 % des assistants familiaux n’avaient pas pris tous les congés payés auxquels ils avaient droit selon une enquête de la Drees. De quoi freiner un peu plus les recrutements.

Pour Sophie, assistante familiale et professeure de danse qui a réussi à passer entre les mailles du filet, « le cumul d’emplois a été salutaire » : « sortir du carcan étouffant de l’ASE (Aise sociale à l’enfance), pouvoir être entouré est essentiel pour ne pas perdre pied ». Son conjoint, assistant familial sans deuxième emploi lui, « s’est renfermé et sombre dans la déprime face aux aberrations du système et de l’absence de soutien ».

Des enfants « de plus en plus traumatisés »

Le responsable plaidoyer de l’Ufnafaam adopte une position plus nuancée. « Les années Covid ont été marquées par une dégradation importante de la santé des enfants, et notamment des enfants placés, selon les résultats d’une cinquantaine d’entretiens que nous avons menés dans plusieurs départements. Les enfants sont de plus en plus traumatisés et nombre d’entre eux nécessitent une prise en charge plus pointue, et plus de disponibilités », argumente-t-il.

Pour l’Ufnafaam la proposition de loi de Xavier Iacovelli est « intéressante mais il faut poser des conditions : si ces fonctionnaires peuvent accueillir des enfants sur des périodes courtes ou pendant les vacances, elles permettraient aux autres de se reposer et pourraient se familiariser avec le métier ». La proposition de loi aurait de grandes chances d’être adoptée selon le sénateur qui affirme que le texte est soutenu par la majorité sénatoriale, et que seuls les groupes de gauche souhaitent s’abstenir.