Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Comment le rassemblement national veut-il gérer la protection de l’enfance ?

22-07-2024

Le 04/07/2024

Classé dans enfant, Protection de l'enfance, Santé mentale, travail social

Actualités, Point de vue, Société

Il ne faut pas croire que le Rassemblement National se désintéresse de la protection de l’enfance. Au contraire, il a élaboré dans son programme une série non négligeable de propositions. Certaines avaient par le passé été réclamées par les travailleurs sociaux. Par exemple la recentralisation de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Voici dans cet article l’essentiel des propositions du Rassemblement National qu’il faut connaitre puisqu’il est à la porte de l’exécutif, même si un espoir de lui faire barrage demeure.

L’Aide Sociale à l’Enfance, pilier de la protection, est surtout vu par le RN par ses défaillances révélées par des émissions de télévision qui ont fait scandale. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit Laure Lavalette, députée du Var, porte-parole du groupe RN, à déposer en mars dernier une demande de commission d’enquête sur les « défaillances de l’ASE ». Elle faisait état dans son argumentaire de la saturation des services, de la pénurie d’éducateurs et d’assistants familiaux. Elle parlait aussi de la détresse des enfants placés et aussi de présence de drogue et de points de deal dans les foyers et de la persistance des placements en hôtels sociaux.

Certaines propositions « hors sol »

Le RN publie sur son site un projet pour la protection de l’enfance qui précise les dispositions que Marine Le Pen souhaite mettre en place : 19 points y figurent. Certains sont des préconisations qui laissent supposer que les services ne font pas correctement leur travail. Ainsi, il est indiqué en premier point : « Procéder à une évaluation objective et complète de la situation de l’enfant » comme si cette dimension n’existait pas et que les professionnels de l’ASE agissaient « au doigt mouillé ».

Hors sol également la proposition numéro 2 : « Constituer, dans chaque département, une équipe chargée de l’évaluation de l’enfant ». Visiblement le RN ne connait pas le dispositif existant qui chaque année permet de protéger des milliers d’enfants. Si chaque département n’avait qu’une équipe d’évaluation, ce serait l’embouteillage assuré et le blocage du dispositif actuel.

Certaines propositions sont bienvenues

Il est suggéré de mettre en place dans chaque département un réseau de soins psychiatriques pour les enfants pris en charge par l’ASE. (proposition 4) Certains départements ont déjà des prises en charge existantes, mais ce n’est pas le cas partout, notamment avec la pénurie de pédopsychiatres et de moyens sur le terrain.

Parmi les annonces, il est aussi prévu la création d’un secrétariat d’État dédié à la protection de l’enfance qui avait été réclamé par nombre de militants du secteur. Il est aussi annoncé la mise en place d’un fichier national des signalements.

Une autre mesure que l’on n’attendait pas est « de rendre obligatoire la prise en charge des jeunes majeurs qui en ont besoin ». Personne là aussi n’est contre, bien au contraire puisque les associations ont milité pour que cette possibilité puisse exister. Rappelons là aussi que certains Départements l’ont mis en place, mais, il semble que cela ne soit pas le cas partout et que certains d’entre eux avancent à petits pas sur ce sujet si ce n’est à reculons.

Il est aussi demandé que les enfants puissent disposer de l’assistance d’un avocat. Je croyais que c’était déjà le cas.

Du côté répressif, il est proposé de « Lutter contre la correctionnalisation des viols et poursuivre les crimes commis contre des mineurs selon leur qualification réelle ». Effectivement un viol est un crime et doit relever des cours d’assises. Là aussi, il me semblait que c’était déjà le cas. Mais il est vrai que certaines affaires ont été « correctionnalisées ».

Il y a aussi des lieux communs.

Par exemple les propositions de « rendre plus attractive la fonction de famille d’accueil », de « Stabiliser les lieux d’accueil des enfants » (qui pourrait être contre ?), de « Mieux soigner les enfants pris en charge par l’ASE », de « Mieux suivre les foyers et les familles d’accueil », de « Mieux déceler les dysfonctionnements des services sociaux pour mieux y remédier »… Comme si personne n’y avait pensé ! Rappelons quand même cet adage : le mieux est l’ennemi du bien.

La proposition six consiste à séparer systématiquement l’enfant de ses parents dès lors qu’une enquête judiciaire est ouverte : il s’agit de « Mettre à l’abri les enfants durant le temps des enquêtes ». Encore faudra-t-il disposer de moyens pour le faire et de places disponibles. Les ordonnances de placement provisoire qui existent ne seraient pas suffisamment mises en œuvre. Pour le RN, cela devrait pour être systématique. Le systématisme en travail social n’est pas ce qu’il y a de mieux si l’on veut tenir compte de la particularité de chaque situation.

Le RN souhaite également renforcer les sanctions contre les auteurs de violences sur mineurs. Cela n’est pas étonnant. Cela entre bien dans sa politique générale.

Que dire de ce projet ?

Le problème de ce catalogue de bonnes intentions est qu’il ne fera pas une politique si les mesures ne sont pas financées ni accompagnées de moyens humains. Or ce sont ces moyens qui manquent. En effet, les acteurs de la protection de l’enfance savent ce qu’il faut faire, mais ne disposent pas de lieux d’accueil, de professionnels en nombre suffisant pour répondre à ces exigences, même si elles sont justifiées. C’est bien là le problème.

Une dernière préconisation me parle particulièrement : il s’agit de « tenir compte de l’incidence des réseaux sociaux et de l’Internet sur les atteintes portées à l’innocence des enfants ». Je ne sais pas ce que veut dire « tenir compte » dans une politique de prévention. Il faudrait informer le RN que les éducateurs et autres travailleurs sociaux tiennent déjà compte de ces risques et abordent ces sujets dans leurs entretiens avec les parents et les enfants. Il faudrait peut-être là des décisions plus radicales pour mieux protéger les mineurs. Quant aux ados, essayez de leur retirer leur smartphone et on en reparle…

Ce que ne dit pas ce document

Vous aurez certainement remarqué qu’il n’est fait mention d’aucun dispositif existant, ni même de pratiques positives au sein de tel ou tel département. La grande faiblesse de ce projet est qu’il ne s’appuie pas sur les réalités du terrain. Aucun mot sur le secteur associatif, qui semble totalement étranger à la protection de l’enfance. Les seuls exemples donnés sont des faits divers dramatiques présentés en introduction du document pour nous faire comprendre que la protection de l’enfance est une action essentielle, ce qui reconnaissons-le, est le cas.

Il n’est pas fait état de l’existant, des pratiques de terrain, ni même du moindre état des lieux des offres d’accueil. La faiblesse de ce document est qu’il se limite à un catalogue de propositions de portées différentes, sans aucun chiffrage sur ces propositions et sur les moyens à mettre en œuvre pour réaliser un tel programme. Aucun diagnostic documenté. Tout cela sera financé sans doute à moyens constants ?

Le troisième point particulièrement problématique est la disparition des Mineurs non accompagnés (MNA). Ils n’existent pas, ou plutôt si, mais pas dans le champ de la protection de l’enfance. Ce projet ne parle que des enfants dits français. Ces jeunes « MNA » pris en charge par l’ASE sont considérés comme des migrants qu’il faut renvoyer sans discuter dans leur pays, même si on ne sait pas s’il leur reste des parents ou même une famille.

Les promesses ne valent que pour ceux qui y croient

Marine Le Pen écrit à la fin de ce document : « Élue présidente de la République, je ferai de la nation la protectrice des enfants maltraités ». Magnifique ! Mais si vous voulez que les enfants ne soient pas maltraités, il faudra aussi soutenir les parents et ne pas les exclure, les accompagner au lieu de les punir systématiquement et ne pas en faire des boucs émissaires.

Il faudra donner des moyens à la prévention et tenir compte du réel. Enfin, il faudra œuvrer pour la formation des professionnels et le développement des compétences, car aujourd’hui les employeurs manquent cruellement de personnels diplômés et formés.

La protection de l’enfance mérite mieux que des promesses pour lesquelles rien ne garantit qu’elles puissent être tenues.

Source :

Projet pour la France de Marine Le Pen : La protection de l’enfance