Association d'Assistants Familiaux Lorrains

A 17 ans, cet ado au parcours cabossé marche 500 km contre les préjugés sur les enfants placés

16-09-2024

Par Stéphanie LAMBERT.

Confié à l’Aide sociale à l’enfance quand il avait 14 ans, Julian est parti le 15 juillet 2024 d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) pour un périple de 470 km à pied jusqu’à La Baule (Loire-Atlantique). Un véritable défi sportif. Le jeune homme entend ainsi valoriser la jeunesse et lutter contre les préjugés sur les enfants placés.

Il sait où il va. Julian, 17 ans, trace son chemin. Parti le 15 juillet d’ Enghien-les-Bains (Val-d’Oise, en région Île-de-France), le jeune homme déroule un parcours minutieusement préparé depuis un an. Objectif : retrouver Meghan, sa demi-sœur de 23 ans, qu’il n’a pas vue depuis près de trois ans, à La Baule (Loire-Atlantique). C’est elle qui, comme une « deuxième maman », a soutenu l’enfant, puis l’adolescent au parcours cabossé, et dont elle a été séparée.

Car mettre les jeunes en valeur de façon positive est aussi au cœur du défi qu’il s’est fixé : marcher près de 500 km en deux semaines, soit dix heures et 35 km par jour. Et casser les préjugés notamment sur ceux de banlieue et les enfants placés. « Je suis tout ça à la fois. La stigmatisation, je l’ai vécue et je la vis encore. »

Pas de fatalité

Julian perd son père à l’âge de 2 ans. Il grandit avec un beau-père violant, le frappant à chaque crise de sa mère bipolaire. À l’âge de 14 ans, il est confié à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) d’Argenteuil, après avoir écrit au Président de la République. « J’étais perdu. Je sentais qu’il se passait des choses anormales. On me disait d’aller dénoncer ma famille à la gendarmerie mais j’en étais incapable. Un peu naïvement, j’ai en quelque sorte demandé au président de trancher. »

Dans son foyer, il retrouve une certaine sécurité, après un début compliqué. « Je ne pensais qu’à fuguer vers l’étranger. J’avais perdu confiance en l’adulte. » Au lycée, pendant son année de seconde, Julian découvre l’association Jeune et Engagé (voir encadré ci-dessous) à l’occasion d’une intervention sur la justice pour mineurs. « Là, je comprends un tas de choses. » C’est le déclic : il veut prendre la parole et montrer l’exemple. « Trop de gens pensent encore qu’être à l’ASE c’est forcément être un mauvais élève, un délinquant. »

À 15 ans, les jeunes de l’ASE sont trois fois plus nombreux en décrochage scolaire que les autres adolescents de leur âge, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Lui vient d’obtenir son bac philosophie et de géopolitique avec mention, malgré des difficultés d’apprentissage liées à sa dyslexie, dyspraxie et dysgraphie.  « Ce n’est pas parce qu’on n’a pas les mêmes chances au départ qu’on ne peut pas y arriver. Mais il faut nous écouter davantage et nous faire confiance. Il y a beaucoup de jeunes comme moi qui veulent réussir. »

Légion d’honneur

En prenant son bâton de pèlerin avec quatre de ses camarades, et grâce au soutien des adultes de l’association Jeune et engagé, Julian avance pour tous ces « invisibilisés ». Partout où il passe, il répand son message haut et fort. Et réclame notamment davantage de moyens pour la protection de l’enfance. Y compris aussi quand il reçoit la distinction Soutien des jeunes méritants de la société des membres de la Légion d’honneur en 2023, pour son bénévolat.

Entraînement intensif

Pour réussir son challenge, Julian Letry, qui n’est « pas un grand sportif », s’est mis à la course depuis plusieurs mois. « J’ai quelques douleurs au niveau du pied. Mais j’ai fait des massages et posé une chevillère donc tout va bien ! Je kiffe ! » confiait-il la semaine passée, quelque part vers Ingrandes-le-Fresnes-sur-Loire, entre Angers et Nantes, le sourire dans la voix malgré les 330 km dans les pattes.

N’ayant plus de contact avec sa famille, Julian souhaite rester accompagné par l’ASE jusqu’à ses 21 ans. À la rentrée, l’étudiant entame une double licence en droit et philosophie à Nanterre. Pour plus tard, souhaite-t-il, « servir l’intérêt général » et rendre à la société ce qu’elle lui a permis. Plus qu’un chemin, Julian a trouvé sa voix.