Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Parcours de vie(s) : jean-claude blin coup d'envoi avec jean-claude blin, retraité nancéien qui a connu l'aide sociale à l'enfance.

18-11-2024

« Je est pas un autre »

Rencontre-portrait de Jean-Claude Blin, ancien enfant placé qui, la retraite venue, souhaite aller à la rencontre des jeunes d’aujourd’hui pour échanger et partager avec eux. Sur sa route, de la gratitude.

Une fois encore, une fois de plus, la vie de Jean-Claude Blin va prendre un virage. Officiellement retraité en cette fin d’année 2024, il a décidé de donner corps à un projet qui lui tient à cœur.

Et de cœur, justement, il en est question. Largement. « Je veux rendre ce que l’on m’a donné » dit-il avec un soupçon d’émotion dans la voix. Qu’un rire et quelques blagues ne suffisent pas à masquer ; et c'est tant mieux : la « cause » qu’il veut défendre est d’importance. On l'appelle "protection de l'enfance". Ou "Aide Sociale à l'Enfance". Dans les téléfilms, on parle encore des enfants de la DDASS même si depuis 1983, ce sont les conseils départementaux qui ont mission de protéger les enfants placés sur décision de justice.

Son projet : rencontrer des jeunes actuellement placés dans des familles ou des foyers, échanger avec eux, partager son chemin, son énergie, ses convictions.

« Il faut leur dire à ces jeunes qu’il n’y a pas de fatalité, qu’on peut aller au-delà des échecs et du désespoir. Chacun a des cordes à son arc. Il faut se hisser, ne pas lâcher. J’ai moi aussi pris des portes dans la figure. Il n’y a pas de hasards mais des rencontres et elles peuvent survenir n’importe quand, n’importe où, et changer votre vie ».

Parole d’expert ! Jean-Claude Blin a très vite été placé, a lui aussi été balloté avec ses frères de lieux en lieux. « Allez savoir pourquoi moi je m’en suis tiré et pas tous mes frères », confie-t-il. « Eux ils n’aimaient pas ça. Moi, je pense que l’Aide Sociale à l'Enfance m’a sauvé la vie ».

En homme qui ne se met pas en avant, il va puiser dans ces rencontres matière à forger une vie qui sera la sienne. Le rire y a toute sa place. Petit, Jean-Claude faisait rire ses copains parce qu’il avait quelques talents d’imitation et notamment de certains professeurs. La culture et les lettres sont aussi de solides compagnons de route. Si le hasard n’existe pas, la chance peut selon lui être au rendez-vous. Et se provoquer.

Il a alors 10 ans, et déjà une conscience très vive que de ses choix découleront les chemins de son existence. « Je vendais des fleurs pour ramener un peu d'argent à la famille, mon père n'était plus là », confie-t-il. « C’est comme cela que j’ai rencontré Françoise, un 9 mars. Elle m’a pris en affection. Elle m’a toujours soutenu. Elle m’a fait lire des livres, m’a trouvé des stages, même contre l’avis de sa famille ».

Il en a tiré cette ligne de conduite : « La vie, c’est comme un train. On ne peut pas sortir du train. Et si le train s’en va, il part sans vous, c’est trop tard ».

Dans son train à lui, la philosophie, la méditation, la musique sont autant de fleurs dispersées sur la banquette. Et autour de lui, autour de Françoise, d’autres personnes lui tendent la main à moins que ce ne soit lui qui leur ai tendu la sienne : ici un éducateur qui l’aide à faire ses devoirs – il obtiendra un bac philo ; là des familles en Allemagne, où il se rend pour y effectuer des stages ; des artistes comme Devos, Jean Ferrat, l’inspecteur Columbo, Claude Vanony, Diderot.

Tout cela le nourrit, le renforce, le soutient. « Adoucissait une cicatrice béante » précise-t-il.

Car les coups du sort, les maladies et un accident de voiture sont aussi venus enrayer la (bonne) marche du train. Là encore ses imitations – qui le conduiront à faire la première partie d’Annie Cordy ! – font mouche avec les éducateurs et les soignants. Là encore il rebondit. « Même si bien souvent on ne me prend pas au sérieux ». Lui avance, trouve des boulots, va rendre visite à une copine à vélo à l'âge de 16 ans en partant de Verdun pour rejoindre Saint-Jean-de-Luz, se marie, fonde une famille. Le voilà père puis grand-père.

Il résume : « Dans la vie, pour s’insérer socialement, il faut un statut, et pour avoir un statut, il faut une identité. Il faut aussi un peu de culture, refuser l’échec scolaire, par exemple. Alors j’ai aussi passé des concours administratifs et je suis devenu CPE dans un établissement privé ». Avant de terminer sa vie professionnelle dans la sécurité.

Sacré chemin parcouru ! « L’Aide Sociale à l’Enfance, c’est soit une punition, soit une béquille. On en parle souvent avec mon frère, avec qui j’ai conservé des liens. On s’interroge souvent pourquoi lui, ça a été une punition, et pourquoi pour moi une béquille. Lui pleurait, moi j’étais heureux ».