Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Exposition prénatale au tabac, le cerveau n’en sort pas indemne

27-03-2025

Dr Pierre Margent | 18 Mars 20250

L’usage du tabac durant la grossesse constitue un problème de santé publique majeur au niveau mondial. Sa prévalence varie considérablement selon les pays mais elle est élevée en Europe et en Amérique, évaluée à 8,1 et 5,9 %, respectivement. Le tabagisme durant la grossesse est associé à une augmentation du risque d’interruption de grossesse, de prématurité, de problèmes respiratoires chez le nourrisson, voire de mort subite.

A plus long terme, il est associé à des effets délétères neurocognitifs et expose à des modifications structurelles cérébrales. Plusieurs modifications ont été décrites dont une réduction du volume cérébral, un élargissement des amygdales, et un noyau caudé et un putamen plus petit. Enfin, il est avéré que la nicotine exerce plusieurs effets négatifs sur le développement cérébral infantile, notamment en amincissant l’épaisseur corticale.

Une étude de cohorte états-unienne, plus de 1600 enfants exposés au tabac in utero

Un travail a été mené afin de préciser les variations des volumes des structures subcorticales et analyser les variations de contraste entre substance blanche et substance grise, un marqueur de la myéline cérébrale, chez des enfants exposés au tabagisme maternel durant la grossesse, comparativement à ceux n’ayant pas été exposés.

Cette étude de cohorte a utilisé les données de l'étude ABCD Release 4.0 qui a recruté des enfants d’origine diversifiée, âgés de 9 à 10 ans et de 11 à 12 ans, entre octobre 2016 et octobre 2018 dans 21 sites aux Etats-Unis. La phase 1 et 2 ont inclus respectivement 11 876 et 10 414 participants, dont 11 408 et 9846 furent éligibles pour cette étude, et 9991 et 6721 ont participé à l’analyse finale.

Les performances cognitives et les données de neuroimagerie (IRM cérébrale) furent évalués entre avril 2018 et juin 2021. En plus de l’exposition au tabac durant la grossesse, le contact avec des drogues et des boissons alcoolisées, ainsi que l’environnement parental et scolaire, le développement pubertaire des enfants, etc., furent colligés.

Environ 15 % des enfants avaient été exposés au tabagisme maternel prénatal. Le tabagisme maternel durant la grossesse a été plus fréquent chez les femmes noires, celles avec un faible niveau d’éducation ou dont les revenus familiaux étaient modestes.

Chez les enfants qui avaient été exposés au tabagisme maternel durant la grossesse, le contraste substance grise-substance blanche était atténué dans plusieurs régions des cortex frontal (par exemple en frontal supérieur), pariétal (zone supramarginale) et temporal (zone temporale moyenne). En outre, chez les enfants exposés, il fut noté des volumes plus petits au niveau des ventricules latéraux et du noyau caudé. En dernier lieu fut décelé une intensité plus prononcée de la matière grise dans plusieurs régions cérébrales, sans différence notable affectant la substance blanche.

Des anomalies de certaines structures cérébrales impliquées dans la cognition

Ainsi, ce travail confirme-t-il l’association entre tabagisme maternel durant la grossesse et deux variables morphométriques cérébrales, d’une part des modifications des volumes sous corticaux, et de l’autre les variations du contraste gris-blanc entre l’âge de 9 à 12 ans chez les enfants exposés au tabagisme maternel pendant la grossesse.

Ces résultats peuvent témoigner d’un développement cérébral sous-optimal cause, à distance, d’altérations cognitives et de détérioration neurologique tandis que les anomalies de contraste matière grise-matière blanche peuvent être le fait d’une altération de la maturation des cellules nerveuses avec lésions neuronales et changements micro-structuraux. Le contenu en myéline péri-cortical serait affecté, induisant une variation de l’épaisseur corticale.

Ce travail témoigne d’une intensité plus nette de la matière grise dans certaines zones corticales, par modification du contenu en eau, sans association patente d’anomalie de la substance blanche voisine. Cette réduction hydrique serait fonction de l’âge, marquée dans l’enfance mais aussi retrouvée dans certaines pathologies neurologiques et neuropsychiatriques de l’adulte.

Ces anomalies du contraste et des volumes sous corticaux ont été observées dans des zones corticales variées, participant à diverses fonctions cognitives supérieures associatives, exécutives, mnésiques et liées au langage. Elles pourraient également être associées à la survenue de désordres psychiatriques dans l’adolescence et à l’âge adulte.

A titre d’exemple, il a été mis en évidence, chez les enfants exposés, une diminution notable des volumes des noyaux caudés droit et gauche. Or ces structures cérébrales jouent un rôle fondamental dans la planification de l’exécution du mouvement, l’apprentissage, la mémoire…

Ce travail doit, cependant, être associé à diverses réserves. Il n’y a pas eu de distinction entre exposition avant ou après connaissance de la grossesse, ni prise en compte d’un éventuel arrêt du tabac en cours de grossesse. De plus, des modèles de régression distincts ont été employés pour chaque région corticale, sans tenir compte des corrélations entre celles-ci.

Il n’a pas été utilisé de dosages de biomarqueurs afin de quantifier l’importance de l’exposition nicotinique. Enfin, des éléments autres que le tabagisme maternel, comme le mode de vie, peuvent également agir sur le développement cognitif des plus jeunes.

En conclusion, confirmant les données de la littérature, ce travail montre une association entre tabagisme maternel durant la grossesse et différence de densité gris-blanc et modifications des volumes sous-corticaux. Ces résultats renforcent l’importance de promouvoir la prévention et l’arrêt du tabagisme chez les femmes enceintes, afin de prévenir d’éventuels effets négatifs sur le développement cérébral des enfants à naitre.