Association d'Assistants Familiaux Lorrains

"mes tripes sont en ébullition", la souffrance des personnels de l'aide sociale à l'enfance, un tsunami raconté par claude ardid

26-05-2025

Alors que 3 départements dont les Bouches-du-Rhône sont visés par des plaintes de familles d'enfants placés et deux semaines après la parution de son livre “La fabrique du malheur” consacré aux défaillances de l'Aide sociale à l'Enfance, Claude Ardid est assailli de centaines de témoignages de professionnels qui témoignent de leur désespoir. Morceaux choisis.

"Dans ma carrière, des horreurs, j'en ai vu. J'ai traité l'affaire du petit Grégory pour France 2. J'ai couvert les disparus de l'Yonne. J'ai fait le documentaire sur le pédophile Marc Dutroux en Belgique. Mais là, j'avoue que depuis 15 jours, c'est un tsunami". Derrière le vernis du journaliste médiatique et expérimenté, Claude Ardid ne tente plus de masquer l'abattement ressenti depuis la parution de son dernier ouvrage “La fabrique du malheur”, une enquête sur les défaillances de l’Aide sociale à l'Enfance. "Je crois que j'aurai besoin de repartir en psychanalyse" avoue-t-il.

Les éducateurs témoignent de leur colère et de leur désespoir

Le journaliste raconte être submergé de "centaines" de témoignages de professionnels de l'accompagnement, des éducateurs, des directeurs de structures, des parents, familles d'accueil. "Sur mes réseaux sociaux, surtout via Linkedin, la souffrance et le désespoir s'ajoutent à la colère. Mon livre a ouvert les vannes dans toute la France". Alors est-ce une manière de se libérer lui-même, depuis Marseille où il est installé, Claude Ardid se fait passeur de la douleur de ses interlocuteurs, dont il ne cite que les prénoms, afin de les protéger.

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Émilie : un système à bout de souffle

Le message d'Émilie est le premier à avoir bouleversé le journaliste. Désespérée, cette travailleuse sociale explique manquer totalement de moyens pour agir afin de protéger les enfants placés, "ni même le temps de les écouter". "Tellement nous sommes compressés à la fois par l'Aide sociale à l'Enfance, par le Conseil départemental financeur, et par les magistrats qui décident des placements". Elle décrit un système “implacable”, qui est totalement "à bout de souffle".

Nous subissons un système implacable et à bout de souffle. C'est terrible.

Emilie, travailleuse sociale

Claude Ardid détaille : "Avec les enfants qu'ils accompagnent, Emilie et tant d'autres professionnels passionnés sont les victimes d'un système qui les broient". Il constate que les moyens trop faibles en regard du nombre d'enfants placés conduisent à une perte de sens généralisée. Démissions en masse, turn-over rapide, les tâches sont confiées à des intérimaires pour quelques jours ou quelques semaines. "Impossible donc dans ces conditions de maintenir la relation privilégiée et essentielle avec l'adulte dont l'ado a besoin" conclut-il.

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Fatima : l'Aide sociale à l'Enfance s'est détournée de ses missions

En tant qu'intervenante sociale en protection de l'enfance, Fatima tient à faire part de "la tristesse, la honte, la colère, la révolte" de voir des adolescents abandonnés à leur sort, témoignant de la part de l'institution du "désintérêt de l'enfant, d'un délaissement, jusqu'à ce que l'issue soit parfois la fin de sa vie". Fatima décrit par le menu la faillite de l'Aide sociale à l'Enfance à remplir sa mission : "protéger les enfants, les prendre en charge, les accompagner, les écouter et les entendre, prendre en considération leur personnalité, leur projet, et construire avec eux un chemin d'épanouissement". Et la professionnelle conclut : "ignoble et insupportable. Ce n'est plus possible, la France doit être condamnée par la Commission Européenne des Droits de l'Homme".

Ce que nous vivons et nous faisons vivre est ignoble et insupportable.

Fatima, intervenante sociale en protection de l'enfance

Sandrine est cheffe de service éducatif. Elle confirme amèrement : "je dois me taire parce que je n'ai pas de travail actuellement. Mais je vous garantis que mes tripes sont en ébullition".

Olivier : dans les foyers, des professionnels parfois violents

C'est comme secrétaire général de CDP-Enfance qu'Olivier Bereziat a tenu à témoigner auprès de Claude Ardid. L'association est engagée aux côtés des enfants victimes de maltraitance. Il dresse le constat d'institutions médico-sociales qui laissent perdurer la violence au sein des équipes.

Face à la violence installée dans nos établissements, j'ai eu honte pour notre profession.

Olivier

"Pour avoir parlé de la violence de certains professionnels à l'égard d'enfants dans le cadre d'un établissement de soins, j'ai été harcelé, ostracisé et j'ai fini par un burn-out". J'ai écrit au procureur de la République, mais l'enquête a été enterrée". Et Olivier conclu dépité : "à ce moment, j'ai eu honte de notre profession".

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Damien : familles d'accueil et violence institutionnelle

L'administration les appelle aujourd'hui “assistants familiaux”. On les connaît plutôt comme "familles d'accueil", et c'est ainsi que Damien Maes continue de se décrire. "Des oubliés", victimes des pouvoirs publics qui les financent, mais veulent ignorer leur réalité. Loin de la mission affichée de soigner, protéger et accompagner les enfants, "loin des discours officiels et des images idylliques véhiculées par des séries télévisées", Damien dénonce "les aberrations d'un système institutionnel désincarné, et la maltraitance sournoise qu'il engendre", à laquelle il a, bien malgré lui, participé pendant sept ans. Dans le silence assourdissant d'une société où "tout le monde s'en fout", la population autant que les décideurs.

Famille d'accueil, c'est un beau métier qui disparaît à cause des aberrations du système. Et tout le monde s'en fout.

Damien Maes, anciennement famille d'accueil

Alors, "ce métier disparaît progressivement et continuera de disparaître". "Malgré quelques belles réussites, le malaise est profond, la protection de l'enfance sombre". Damien Maes en a même fait un livre, "Coupable d'être placé".

Pour Claude Ardid, le dispositif des familles d'accueil a été peu à peu dévoyé, tout comme celui des foyers pour enfants placés. Leur gestion de plus en plus souvent confiée par les Départements à des intermédiaires extérieurs, associations ou groupes privés en charge de la gestion des centres d'accueil et des assistants familiaux. "Comme pour les crèches et les Ehpad, ils sont là pour faire du business. Pas pour œuvrer à la meilleure protection des enfants" se désole le journaliste.

La gestion des placements d'enfants est devenu un business. Comme les crêches et les Ehpad.

Claude Ardid, journaliste, auteur de “La fabrique du malheur”

France 3 Provence-Alpes

Nicole : combattre l'impunité des juges

Nicole aussi a pris sa souris pour écrire à Claude Ardid, en tant que “professionnelle de la petite enfance”. Avec les juges dans sa ligne de mire. "La vraie racine du mal est leur impunité quand ils prennent des décisions contraires à l'intérêt des enfants" analyse-t-elle. " Que ce soit des juges aux affaires familiales (JAF), des juges des enfants (JDE) des magistrats en correctionnelle, ou encore en Cour d'assises". Nicole poursuit : "je suis témoin au quotidien de leurs jugements mortifères".

Je suis témoin au quotidien de jugements mortifères en matière de placement.

Nicole, professionnelle de la petite enfance

Un sentiment que partage Claude Ardid. "En tant que journaliste, je me suis déplacé, j'ai pu analyser des situations, comprendre les échecs qui ont conduit parfois des jeunes placés à se faire du mal, à se suicider. La décision de placement d'un JAF, d'un JDE est déterminante, mais prise parfois sur la foi d'enquêtes sabotées par les responsables de l'Aide sociale à l'Enfance (ASE)". Le journaliste considère qu'il y a des juges qui "agissent mal", "même si c'est une minorité". "Ils se fient à des dossiers qui sont nuls. "Avec une simple lecture, vous vous rendez compte que l'enfant ou l'adolescent n'aurait jamais dû être placé". Un moyen de maintenir le lien avec sa famille et un adulte référent.

Moins de placements, plus de maintiens ?

Selon le journaliste, la situation catastrophique de l'ASE en France devrait conduire à restreindre les placements, afin de prononcer davantage de maintiens des enfants auprès d'un ou des parents. En favorisant son accompagnement par un travailleur social. Claude Ardid fait état de ce message, un cri du cœur tout juste reçu de la part d'une maman en plein désarroi face à un placement qu'elle estime injuste : "je vous en supplie, sauvez-moi. Ils sont en train de détruire ma fille, et de me détruire avec". Le journaliste lui a promis d'appeler le juge en charge du dossier. "Même si ce n'est pas très déontologique" reconnaît-il.