Création de centres de santé destinés aux enfants placés à travers la france
26-05-2025
Un juste retour des choses
Quentin Haroche | 23 Mai 2025
La frêle silhouette du Pr Céline Gréco déambule au milieu des bancs, des dessins d’enfants et des tobogans. La cheffe du service de médecine de la douleur et de médecine palliative à l’hôpital Necker-Enfants malades veut s’assurer que tout est prêt.
Dans quelques mois, cette école désaffectée du 12ème arrondissement de Paris accueillera le premier centre de santé en France destiné exclusivement aux enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance (ASE).
« L’idée, c’est de faire un truc super, c’est plutôt bien parti, non ? » lance avec une certaine candeur le médecin de 41 ans au journaliste du Monde. Un toboggan pour passer entre les étages, des constellations au plafond, une grande fresque inspirée du Petit Prince : oui assurément, ce sera « un truc super ».
Cheffe d’un service hospitalier, directrice d’une équipe de recherche consacrée aux maladies rares causant des douleurs osseuses ou neuropathiques à l’institut Imagine, présidente de l’association Impactes qui vient en aide aux enfants placés : on peut se demander comment ce « petit bout de femme », pour reprendre une expression un peu surannée, mais qui colle bien au Pr Gréco, trouve le temps et l’énergie pour mener tous ses combats de front.
« Si je n’avais pas été placée, je serais morte »
« C’est une période épuisante, mais je n’ai pas le droit de flancher. Toutes les planètes sont en train de s’aligner pour la protection de l’enfance ! » explique-t-elle. Céline Gréco est particulièrement motivée par la publication, le mois dernier, d’un rapport parlementaire sur l’aide sociale à l’enfance (ASE) dont elle a grandement participé à l’élaboration.
Un rapport qui a permis de faire découvrir au grand public ce que le Pr Gréco dénonce et connait depuis des années, à savoir l’absence quasi-totale d’encadrement médical pour les enfants placés.
« Les enfants victimes de violences intrafamiliales passés par l'ASE perdent en moyenne vingt ans d'espérance de vie ; seuls 30 % d'entre eux bénéficient d'un bilan de santé à leur admission et ils ne sont que 10 % à avoir un suivi médical » explique la professeure de médecine.
Les conséquences sanitaires sur le long terme sont souvent catastrophiques, avec des taux de prévalence de cancer, de maladies cardiovasculaires et surtout de maladies mentales bien plus importants chez les anciens enfants placés que dans le reste de la population.
Le Pr Gréco sait bien de quoi elle parle : elle-même est une ancienne enfant placée. Elle a 14 ans lorsqu’une infirmière scolaire la repère. Depuis plusieurs années, l’adolescente subit un véritable calvaire de la part de son père : violences verbales et physiques, brimades, privation de repas et de sommeil.
Lorsqu’elle est enfin retirée à ses parents, l’adolescente ne pèse que 31 kg. « Si je n’avais pas été placée, je serais morte » analyse-t-elle froidement.
Comme beaucoup d’enfants pris en charge par l’ASE, elle va être ballotée d’une structure à l’autre, passant d’un hôpital à une famille d’accueil puis à un foyer. Malgré sa santé fragile, elle ne consulte aucun médecin durant ces années bien que sous la protection de l’Etat.
Un « boulet » qui n’empêche pas d’avancer
Alors que la plupart de ses camarades « n'avaient pour ambition que de toucher le RSA », la jeune Céline, qui dès l’enfance lisait en cachette de son père des livres de neuroscience, se rêve médecin et chercheuse. « Je n’ai jamais envisagée de faire l’un sans l’autre ».
En parallèle de ses études de médecine, elle mène une thèse de sciences, faisant partie de la première promotion de l’Ecole de l’Inserm. C’est depuis 2020 qu’elle dirige le service de médecine de la douleur de Necker, en parallèle de ses activités de recherche.
Une double casquette de clinicienne et de chercheuse qui lui a notamment permis de participer à la mise au point d’un traitement par un inhibiteur d’EGFR du syndrome d’Olmsted (une affection génétique rare extrêmement douloureuse se caractérisant par une kératodermie palmo-plantaire avec épaississement majeur de la peau).
Comme nombre d’anciens enfants placés, Céline Gréco garde des séquelles psychologiques mais également physiques des violences qu’elle a subies. Tassement des vertèbres, santé dentaire « pourrie », tendances à l’addiction, « gros manque de confiance », « peur presque panique de l’abandon » : tout ceci constitue ce que le Pr Gréco qualifie de « boulet ».
Un « boulet » qui n’empêche donc pas le médecin d’avancer pour améliorer les conditions de prise en charge des enfants placés. En 2021, elle a développé les premières équipes mobiles chargées, dans les hôpitaux de faciliter le repérage des cas de maltraitance.
D’initiative privée, cette démarche a été reprise par l’Etat avec la création d’«unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger » à travers la France.
Son nouveau projet, également soutenu par l’Etat, est donc la création de centres de santé destinés aux enfants placés à travers la France.
Le premier devrait ouvrir ses portes en fin d’année à Paris. « Je me suis toujours battue pour que les projets de l'association deviennent des politiques publiques et c'est ce qui est en train de se produire » se réjouit le médecin.
Pour les 400 000 enfants pris en charge par l’ASE, Céline Gréco est la preuve vivante qu’un boulet n’empêche pas toujours de franchir la ligne d’arrivée en tête.