Trouble de la conscience du nourrisson, et si c’était le cannabis ?
02-06-2025
Pr Jean-Jacques Baudon | 15 Mai 20250
La consommation du cannabis a augmenté partout dans le monde et nombre de pays ont légalisé sa consommation récréative. Parallèlement, l’ingestion accidentelle par les enfants de cannabinoïdes (composants du cannabis qui se lient aux récepteurs spécifiques) a augmenté de façon significative à la suite d’une plus grande disponibilité des produits.
Le cannabis est disponible sous des formes variées y compris des produits comme des chocolats, bonbons gélifiés, petits gâteaux, en plus du haschisch en cigarettes et joints. L’ingestion de ces produits explique la prédominance des cas d’intoxication chez les petits enfants (toddlers), au moment de l’acquisition d’une autonomie.
Une enquête française sur 11 années concernant 24 services d’Urgences a rapporté 235 cas d’intoxication involontaire au cannabis chez des enfants âgés de moins de 6 ans, parmi lesquels 167 étaient de petits enfants (71 %), âgés de 18 mois et moins (1).
Les études publiées sur le sujet ont décrit les symptômes de cette intoxication, qu’ils soient neurologiques, respiratoires et cardiovasculaires. Les données sociologiques et le risque de maltraitance, de négligence et l’absence de prise en charge par les services de protection de l’enfance ont été peu abordés.
Une revue systématique publiée en 2017, et qui a rassemblé les cas de 114 enfants âgés en moyenne de 25 mois (8 mois à 12 ans), n’a pas abordé le volet social (2). Les publications sont souvent limitées à quelques cas.
Une étude rétrospective monocentrique sur 10 années
Des pédiatres de Jérusalem du Hadassah Medical Center ont réalisé une étude rétrospective des enfants âgés de 0 à 48 mois examinés aux Urgences pendant la période 2010-2021 pour intoxication aux cannabinoïdes, alors que le cannabis est illégal en Israël.
Le diagnostic d’intoxication a reposé sur un examen toxicologique des urines positif pour ces substances. Les critères d’exclusion étaient les nouveau-nés de mères suspectes de consommation récente. Pour tous les cas retenus les données complètes sur la démographie, les symptômes cliniques à l’admission et le bilan réalisé aux Urgences étaient disponibles.
L’implication éventuelle de la protection de l’enfance et les rapports aux services sociaux ou à la police ont été enregistrés. Une équipe locale de protection de l’enfance, composée d’une assistante sociale et d’un pédiatre dédié, était disponible en permanence sur demande du médecin de garde. Sa participation impliquait l’assistante sociale seule ou associée au pédiatre qui réalisait alors un examen complet à la recherche de signes de maltraitance et de négligence.
L’enquête sociale identifiait les facteurs de risque. En fonction de l’examen clinique et des résultats de l’enquête, les investigations pouvaient être complétées par des radiographies du squelette, un fond d’œil et d’autres examens d’imagerie.
Pour chacun des jeunes patients, le nombre total des visites aux Urgences avant et après la consultation en rapport avec l’intoxication au cannabis, entre de 2006 et 2023, a été collecté à partir du dossier médical complet, comme marqueur potentiel de mauvais traitements.
29 cas d’intoxication au cannabis chez des enfants âgés de moins de 4 ans
Entre 2010 et 2021, 36 prélèvements d’urine positifs ont été enregistrés dont 7 ont été exclus (6 de nouveau-nés de mères positives, un d’un enfant traité par cannabis pour épilepsie). Les 29 autres ont constitué le groupe étudié : 19 étaient des garçons (65,5 %) ; l’âge médian était de 13,08 (± 3,4) mois (8 à 21 mois).
Parmi eux, 27 ont été hospitalisés dont 15 brièvement en unité de soins intensifs. La durée moyenne de l’hospitalisation a été de 2,56 (± 1,2) jours. Aucun décès n’a été déploré.
Tous les enfants étaient symptomatiques lors de la consultation aux Urgences. Les symptômes neurologiques étaient constants et variés : léthargie (n = 22 ; 76 %), convulsions (17 %), agitation (7 %). Sept enfants étaient en mydriase (24 %) et deux en myosis serré.
Des symptômes gastro-intestinaux étaient notés pour 7 enfants (24 %) : vomissements (4), diarrhée (3) ; des symptômes respiratoires pour 7 d’entre eux (bradypnée le plus souvent, polypnée dans un cas) et cardio-vasculaires (7 cas de tachycardie). Des signes généraux étaient présents chez 7 enfants : fièvre (n = 6), hypothermie (n = 1). Au total, les tableaux cliniques étaient variés et non spécifiques.
Ces 29 enfants ont bénéficié d’examens complémentaires, avant le résultat de l’examen urinaire, comportant un bilan sanguin pour tous, une ponction lombaire (n = 6), une tomodensitométrie (n = 6). Aucun enfant n’avait d’autre intoxication.
Une prise en charge sociale à ne pas négliger
L’aveu complet de l’exposition au cannabis n’a été fait qu’une fois par les parents, 15 (62 %) ont nié toute exposition, 6 (21 %) ont mis en cause l’ingestion d’une substance dans un lieu extérieur, 4 (14 %) au domicile d’amis. Au total, dans 18 cas (62 %), la source de l’exposition a été affirmée inconnue par la famille, même confrontée aux résultats de la recherche de toxiques urinaires.
L’équipe locale de protection de l’enfance a été impliquée dans tous les cas, 14 fois assistante sociale et pédiatre, 15 fois l’assistante sociale seule. Tous les enfants n’ont pas bénéficié d’une recherche de blessure non accidentelle mais un enfant présentait des hématomes. L’examen du fond d’œil effectué dans 2 cas était normal. Aucun enfant n’a bénéficié de radios du squelette. Un rapport a été adressé à la police dans 27/29 cas et aux services sociaux dans 18 cas.
Trois familles étaient connues des services sociaux, deux pour des difficultés économiques, une pour incarcération des parents ; 26 enfants (90 %) étaient issues de familles défavorisées.
Parmi les 29 patients, 11 (38 %) ont eu des visites multiples aux urgences dont 6 pour traumatisme, l’un avec des blessures, lacérations et traumatisme de la tête suggérant négligence ou mauvais traitement. Au total, le profil des parents orientait vers des milieux défavorisés et le suivi ultérieur a été insuffisant.
En conclusion, l’intoxication aux dérivés du cannabis des jeunes enfants, souvent méconnue, est à l’origine d’un tableau clinique peu évocateur. Seule la recherche du toxique dans les urines permet de l’affirmer et d’éviter des explorations inutiles. La source de l’intoxication est souvent non documentée. La prise en charge sociale ne doit pas être négligée.