Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Protection de l'enfance : les mineurs placés, premières victimes d’un système de santé défaillant

17-06-2025

Plus de la moitié des enfants placés sous la protection de l’aide sociale à l’enfance (ASE) souffrent d’au moins un trouble psychique. Le système de santé leur est néanmoins plus difficilement accessible. La question de la santé mentale est pourtant d’autant plus primordiale pour ces jeunes fragiles. Des solutions existent, mais la volonté politique doit suivre.

Alexandra Simard - 15 juin 2025

Trois chiffres suffisent pour comprendre l’ampleur de la crise : 50 % des enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) souffrent d’au moins un trouble psychique. 90 % n’ont pas de suivi médical adapté. Et 50 % des adolescents hospitalisés en psychiatrie viennent de l’ASE.

La santé mentale chez les jeunes est un sujet majeur, d’autant plus chez ces mineurs au parcours de vie cabossé. De par les maltraitances subies avant leur placement, la plupart de ces enfants fragiles, qui éprouvent un fort sentiment d’abandon, souffrent de stress post-traumatique, auquel s’ajoute une « violence institutionnelle », marquée par un changement de familles d’accueil fréquent ou encore des violences endurées au sein même des centres d’accueil.

Plus d’un enfant placé à l’ASE sur deux aurait été victime de violences sexuelles, avant ou pendant son placement, révèle une étude de l’Union pour l’enfance, publiée le 2 avril. « Souvent l’enfant auteur et victime de ces violences restent placés dans le même établissement, faute de place », s’indigne Lyes Louffok, militant pour les droits des enfants. Un mal-être que ces jeunes, à la forte impulsivité, expriment à travers des violences verbales et physiques, des fugues voire des tentatives de suicide.

Les urgences comme ultime recours

Aujourd’hui, près de 400 000 mineurs sont sous la protection de l’enfance, un chiffre en augmentation constante. Leur prise en charge médicale est clairement défaillante. « La loi de 2016 oblige les départements à procéder à un bilan de santé complet de l’enfant, or, ce n’est jamais effectué », dénonce Lyes Louffok.

Les centres médico-psychologiques (CMP) sont débordés. Les temps d’attente pour voir un spécialiste peuvent prendre de nombreux mois. Le nombre de pédopsychiatres a fondu comme neige au soleil, passant de 1 235 en 2007 à 593 en 2017. Ce qui pousse ces jeunes à avoir recours, comme ultime solution, aux services psychiatriques en urgence à l’hôpital.

Les médicaments, solution de facilité

Pour pallier les crises, et calmer ces enfants souvent agités, ces derniers se voient administrer – parfois même sans ordonnances – des doses d’anxiolytiques importantes. « Ces médications sont souvent faites un peu par défaut, parce que c’est le plus rapide, le plus facile. Mais c’est aussi le signe d’une médicalisation trop tardive », confirme le professeur Guillaume Bronsard, spécialiste de la psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence au centre hospitalier régional universitaire de Brest, selon qui « il aurait fallu engager des suivis psychologiques, des accompagnements des éducateurs beaucoup plus précoces et sur la longue durée ».

Cette surmédicamentation n’est pas anodine et peut avoir des conséquences à l’âge adulte. Lyes Louffok, ancien de l’ASE, nous explique lui être ainsi devenu insomniaque.

Pour garantir un cadre à l’enfant, les professionnels garantissent que le modèle le plus adapté reste la famille d’accueil, même si cela ne peut ne pas convenir à tous les adolescents. Aujourd’hui, on enregistre 36 000 assistants familiaux en France, contre 40 000 il y a cinq ans. « Il y a les départs en retraite non remplacés mais aussi ceux qui décident d’arrêter face à l’ampleur de la tâche », décrypte Bruno Roy, président de l’Association nationale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux (Anamaaf).

« L'enfant se développe dans le regard de l'adulte »

Comment se reconstruire pour ces jeunes en manque d’amour ? « Pour éviter des douleurs de séparation, on prémunissait les familles d’accueil en leur disant ne pas s’attacher à ces enfants », retrace le Pr Guillaume Bronsard. Or, pour le pédopsychiatre, cet attachement est « souhaitable et absolument indispensable » : « L’enfant, il se développe dans le regard de l’adulte, il se développe parce qu’il croit qu’il compte pour quelqu’un.

S’il n’a pas cette certitude, il ne se développe pas », citant le psychiatre Spitz, qui, dans les années 1930, a développé la théorie de l’hospitalisme : « Lorsque vous laissiez à l’hôpital un petit enfant, sans les gens qu’il aime, il involuait complètement, refusait de manger, tombant dans une dépression très grave. »

Le risque de tomber dans la délinquance

En l’absence d’amour et de cadre, difficile, pour ces enfants, par ailleurs souvent l’objet de stigmatisation, de se construire sereinement. Certains basculant dans la délinquance. Plus de 41 % des détenus et de 37 % des détenues ont fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative dans l’enfance, selon une étude de décembre 2022 cité par le Comité économique, social et environnemental (Cese). « Le fait qu’ils sont beaucoup plus impulsifs sur le plan émotionnel, et que leurs cadres éducatifs et d’identification sont beaucoup plus friables produit un taux plus élevé de délinquance juvénile », analyse le Pr Bronsard.

En 2018, Alain et Marie Christine Marmignon en ont payé un lourd tribut. Leur petite-fille Léa a été sauvagement assassinée de 22 coups de couteau par un adolescent de 14 ans qui était placé chez eux. Aujourd’hui, l’adolescent a été libéré. La famille continue son combat sur le plan judiciaire et politique pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise.

Cependant, Lyes Louffok tient à rappeler que « l’ASE sauve des vies » en permettant de retirer de leur famille des enfants maltraités. D’ailleurs, 3 300 enfants en danger attendent d’être placés faute de places…