Association d'Assistants Familiaux Lorrains

"pour réviser le bac, au moins ici, j'avais un ordinateur et la clim" : réussir ses études quand on est enfant placé

22-09-2025

L'Adepape 13, association qui accompagne des adolescents issus de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) a inauguré fièrement ses nouveaux locaux sous les yeux de la ministre Catherine Vautrin et d'un vaste parterre politique. Une manière de dérouler le tapis rouge à des jeunes, laissés pour compte par la société.

On les désigne comme des "enfants de l'ASE". Cette "étiquette" indélébile est une marque noire qui les désigne depuis toujours comme "infréquentables". Flanqués de leur “homme de confiance”, Hamza Bensatem, président de l'ADEPAPE 13, les jeunes sont confortablement installés dans deux canapés neufs. Quatre adolescents. Lumineux, malgré le côté si sombre de leur histoire. "La société ne nous autorise pas à nous victimiser", s'accordent-ils à poser en préambule, alors pas question pour eux de s'appesantir sur leurs parcours cabossés, de familles d'accueil en foyers. Ils sont venus pour parler de leur avenir. Et justement, ce local est le berceau de leurs rêves et de leurs ambitions trop souvent malmenés.

Point de chute

L'endroit est calme, les murs d'un blanc immaculé. Un grand salon, une salle de bain avec douche, une machine à laver, des ordinateurs, mais aussi une télé, une bibliothèque et cerises sur le gâteau : une console de jeux et un baby-foot. Le grand luxe. "Ça change du foyer, de la promiscuité, du bruit permanent, ici, on se sent comme chez nous", explique Léo, bientôt 16 ans. Ensemble, avec Yacine, Océane, et Khadija, ils se sont impliqués dès la naissance du projet, ont même porté des cartons lors du déménagement de l'ancien local de la Corniche. Alors forcément, ils n'ont rien manqué de l'inauguration en grande pompe, le 5 juin, en présence de la ministre Catherine Vautrin, de la préfète à l’égalité des chances et de la présidente du Département.

Et surtout, ils ont pris la parole pour parler de leurs difficultés, ces embûches administratives insurmontables, et de leur solitude pour les affronter. À 18 ans, les jeunes comme eux sont poussés vers la sortie, priés de quitter le giron de l'Aide sociale à l'enfance et de trouver du travail pour s'assumer financièrement. Ils le savent, la menace plane de se retrouver à la rue. (NDLR : avant 25 ans, un SDF français sur trois est un ancien enfant placé, indiquait déjà l' Insee en 2016).

Alors pour ceux qui souhaitent faire des études, les chances de suivre un parcours universitaire sont minimes. L'ADEPAPE les aide à faire ce grand saut forcé vers l'autonomie, les encourageant à être ambitieux malgré tout. Khadija,17 ans, vient de terminer ses épreuves du bac général. L'élève brillante est venue réviser dans le nouveau local. "J'avais au moins un ordinateur et la climatisation, ça m'a sauvée ! Au foyer, il faisait 33 degrés, c'était intenable", raconte la jeune fille, qui se prépare à faire des études de droit. L'adolescente s'exprime et argumente à la perfection, ce qui lui permit à 15 ans de remporter un concours d'éloquence. Ironie du sort : l'oral du bac portait sur le thème de l'égalité des chances à l'école. Sujet qu'elle maîtrise bien malgré elle, Khadija a donc trouvé fort à dire.

Pourtant, livrée à elle-même devant Parcoursup, sans éducateur et sans parents pour la guider sur la plateforme, Khadija a commis une petite erreur qui menace aujourd’hui son avenir. "J'ai cliqué sur des licences de droit en dehors de Marseille et donc hors du département dont je dépends au niveau de l'ASE et l'inspectrice m'a dit qu'elle ne me validerait pas mon Contrat jeune majeur". Ce qui signifie : aucun moyen de subsistance pour étudier. "Il y a urgence, si on n'arrive pas à débloquer ma situation d'ici quelques jours, je ne sais pas ce que je fais à la rentrée". Pourtant, depuis toujours, Khadija rêvait de devenir juge pour enfants, "après une belle rencontre quand j'étais petite avec une magistrate, mais je me suis demandé si j'arriverais à placer des enfants, même dans leur intérêt, du coup, je pense me tourner vers le droit international". Au local, la future bachelière a trouvé du réconfort et un soutien actif dans ses démarches.

Calme et propreté

Yacine, 19 ans, arrive fièrement, arborant à l'épaule son totebag “Sciences Po Aix”, où il vient de terminer sa première année, après avoir réussi magistralement le concours d'entrée. Hamza le présente comme "le deuxième jeune de l'ASE à avoir intégré l'IEP depuis sa création en 1956 !".

Son discours est posé, il assure avoir "un plan". Le jeune homme, de nationalité espagnole, est arrivé sur le territoire français à l'âge de six ans avec sa mère, avant d'être placé. La tête froide, Yacine sait d'où il vient, mais sait surtout où il veut aller : l'Académie militaire de Sain-Cyr Coëtquidan, "devenir officier et servir la France, parce que ne pas être naturalisé n'empêche pas d'aimer son pays". L'étudiant, Français jusqu'au bout de son âme, s’interroge : pourquoi aucun éducateur ne s'est-il jamais occupé de régulariser sa situation ?

Cependant, Yacine se sait chanceux : il a décroché un Contrat jeune majeur, qui lui permet, alors qu'il a plus de 18 ans, d'être encore hébergé dans un foyer à Marseille et de bénéficier d'un petit pécule, "60 euros par semaine pour se faire à manger". Le responsable de l'ADEPAPE13 raconte que l'étudiant "a passé presque toute sa première année de cours avec un stylo et des feuilles de papier, c'était le seul à l'IEP ! Nous avons réussi à lui fournir un ordinateur portable". Mais dans le nouveau local, ce que Yacine apprécie peut-être le plus, "c'est le calme, la propreté de la douche et... la machine à laver ! Au foyer, nous avons une machine pour neuf et personne ne la nettoie", dit-il en faisant la grimace.

Océane rejoint Yacine sur ce point. Le manque d'hygiène et d'intimité, en collectivité, elle ne le supportait plus. À 17 ans, à sa demande, elle vient, d’être placée dans un studio, en “semi-autonomie”. "Mais devenir autonome, c'est aussi se retrouver complément seul", avoue-t-elle, "au début, c'est dur". Océane a connu les foyers d'urgence à 14 ans, la famille accueil puis, la collectivité, où l' "on n'est jamais tranquille, on subit les autres. Ici, c'est chaleureux, on se retrouve pour discuter, jouer ou regarder la télé... moi, j'adore le baby-foot", confie-t-elle dans un large sourire. Élève de seconde, elle aurait aimé se lancer dans le milieu de la mode, sa passion, mais elle sait ne pas avoir "le réseau qu'il faut", les bonnes cartes en main. Plus raisonnablement, elle vise "éducatrice pour jeunes enfants". La discussion démarre entre les jeunes autour de la table basse du salon.

L'oreille de la ministre

Léo fait la moue sous ses longs cheveux bouclés. Il s'exprime comme un adulte, chaque mot est pesé. L'adolescent se remet doucement d'une dépression dans laquelle il a plongé après avoir été arraché "en deux jours" à sa famille d'accueil pour être placé foyer. C'était durant son année de troisième, il se souvient avoir sombré peu à peu dans le décrochage scolaire, sans personne pour le secouer.

À 14 ans, on lui a donc proposé de faire un CAP pour être certain d'avoir une qualification et un emploi à sa majorité,  "j'ai travaillé comme serveur dans un bar pendant six mois, mais ça ne me plaisait pas et je me suis enfoncé". Aujourd'hui déterminé à "ne pas rater sa vie", il revendique le droit à l'erreur, voudrait reprendre son parcours en seconde générale, inspiré par les sciences politiques. Pour preuve, dans son smartphone, une précieuse vidéo : l'extrait de l'intervention à l'Assemblée nationale de Catherine Vautrin qui évoque son cas en exemple, pour défendre son projet de loi.

Lors de sa visite au local, la ministre s'est semble-t-il émue de leurs récits. À son agenda, l'ADEPAPE13 devait faire l'objet d'un passage éclair, Catherine Vautrin a finalement passé trois heures à leur écoute. Alors aujourd'hui, Khadija et Léo, qui sont en attente d'une solution d'urgence pour la rentrée prochaine, comptent un peu sur elle.

Le téléphone d'Hamza sonne. Le président d'association s'excuse de devoir décrocher, mais c'est une ancienne secrétaire d'État au bout du fil. Il en a fait du chemin lui aussi depuis son foyer. L'enfant placé bataille sans relâche pour sortir ses semblables du déterminisme social dans lequel ils sont enlisés. Convaincu que seul le lobbying viendra rappeler inlassablement à l'oreille des politiques que ces enfants placés, sans parents, sont l'affaire de tous.