Aide sociale à l’enfance : « à 18 ans, après avoir grandi sous protection, ces jeunes sont livrés à eux-mêmes »
22-09-2025
Laurent Mélito
Sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Publié le 26 août 2025 à 12h13Lecture : 3 min
Le collectif Les 400 000 se mobilise aux Invalides, à Paris, en mai 2025 et brandit des affiches : « 18 ans et pas d’ailes pour voler- C’est la chute assurée ». ERIC BRONCARD / Hans Lucas/AFP
Le sociologue Laurent Mélito appelle à repenser à frais nouveaux l’insertion des jeunes ayant bénéficié de l’Aide sociale à l’enfance une fois que ces derniers ont atteint leur majorité.
Alors que l’été 2025 s’achève, des milliers de jeunes s’apprêtent à franchir un seuil à la fois symbolique et abrupt : celui de la sortie des dispositifs de protection de l’enfance. Pour nombre d’entre eux, cette étape marque moins une émancipation qu’une plongée dans l’incertitude, la précarité, voire l’isolement. Un rapport sénatorial, publié en avril dernier, a dressé un constat sévère des failles de l’accompagnement de ces jeunes. Quatre mois plus tard, les mesures concrètes se font toujours attendre.
La fin de la prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), généralement à 18 ans, reste en effet une transition brutale. Certes, quelques dispositifs existent – contrats jeunes majeurs, initiatives locales –, mais ils restent inégalement appliqués et très insuffisants. Trop souvent, ces jeunes se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans repères ni appui concret, au moment où leur besoin d’accompagnement est pourtant le plus fort. Ce n’est pas un abandon volontaire, mais un défaut de structuration, une difficulté persistante à articuler protection et droit commun. Anticiper cette transition et assurer une continuité éducative et sociale est un impératif.
« Le système actuel méconnaît les fragilités structurelles »
Le paradoxe est flagrant : après avoir grandi sous protection, ces jeunes sont subitement livrés à eux-mêmes. Sans logement stable, revenus réguliers ou cadre éducatif cohérent, leur parcours se brise. Cette discontinuité entrave leur insertion scolaire, professionnelle et sociale. La logique institutionnelle échoue à offrir la continuité pourtant essentielle à la mission même de la protection de l’enfance.
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Le rapport sénatorial met en lumière un écueil majeur : la contractualisation de l’aide. L’accompagnement est souvent conditionné à la signature d’un contrat ou à des engagements en matière de formation ou d’emploi. Ce modèle, fondé sur le mérite, suppose que le jeune est déjà autonome, alors même que le système n’a pas permis de construire cette autonomie. Il méconnaît les fragilités structurelles : errance, traumatismes, ruptures, carences affectives. En réduisant un droit à une aide conditionnelle, il accroît les inégalités d’accès et le sentiment d’exclusion.
La « sortie sèche », mise en lumière par le rapport, désigne la fin d’accompagnement sans relais. Elle se traduit par une triple rupture : matérielle (logement, ressources), relationnelle (perte de référents), institutionnelle (absence de coordination). Sans filet familial, ces jeunes tombent dans un vide administratif et social.
Vers une refondation du modèle
Les conséquences sont connues : chômage, abandon de formation, recours aux aides d’urgence, isolement, errance, parfois comportements à risque. Ces trajectoires ne traduisent pas un manque de volonté individuelle, mais un défaut collectif. La majorité légale ne signifie pas autonomie réelle. La transition devrait être progressive, accompagnée, sécurisée. Mais rares sont les structures qui l’anticipent. L’orientation, l’accès au logement, la gestion d’un budget sont souvent laissés à la charge de professionnels débordés – ou du jeune lui-même.
La commission sénatoriale appelle à une refondation du modèle : garantir un accompagnement inconditionnel pour tous les jeunes majeurs issus de la protection de l’enfance. Il ne s’agit plus d’un soutien soumis à conditions, mais d’un droit à la continuité.
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Ce changement suppose de sortir de la logique du mérite pour reconnaître un droit opposable, fondé sur les besoins réels. Il appelle à la création de dispositifs intégrés : logement, formation, soutien éducatif et psychologique, insertion sociale, pensés de manière cohérente. Pour garantir l’égalité de traitement, il est aussi indispensable d’harmoniser les pratiques entre territoires, réduire les disparités administratives et offrir un cadre juridique clair à chaque jeune.
La désignation d’un référent unique de parcours constitue un levier clé. Il coordonne les interventions, assure la continuité de l’accompagnement, anticipe les ruptures. Cette dynamique nécessite un véritable travail en amont de la sortie : orientation, projection, co-construction du projet de vie, en impliquant professionnels et jeunes. Ce modèle requiert une volonté politique forte, des moyens humains et financiers conséquents, et une coordination efficace entre tous les acteurs : départements, État, associations, bailleurs sociaux, missions locales, services de santé et de formation.
Notre rapport à la justice sociale
Penser enfin l’insertion des jeunes sortants de l’ASE, c’est poser la question de notre rapport à la justice sociale. Ces jeunes ne sont ni des assistés, ni des adultes autonomes du jour au lendemain. Ce sont des citoyens en devenir, à qui la République doit garantir l’égalité des chances.
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Dans un contexte où l’on exalte le mérite et la résilience, il faut rappeler une vérité simple : l’autonomie ne se décrète pas, elle se construit. Et pour cela, il faut du temps, du soutien, de la continuité. Offrir cette chance à chaque jeune de la protection de l’enfance, ce n’est pas faire preuve d’assistanat, c’est affirmer qu’aucun enfant de la République ne doit en être exclu.