"je la considère comme ma maman de cœur" : dans le quotidien des enfants placés en famille d'accueil alexandra, 13 ans, est en famille d'accueil depuis 6 ans chez katia qu'elle considère comme sa maman ou sa tante. • © ftv - clémence rousseau
23-12-2025
Écrit par
Sophie Picard
Publié le07/12/2025 à 07h00
Temps de lecture : 5 mins
Dans la Somme, 1 300 enfants sont placés dans 482 familles d'accueil. Un nombre qui n'est pas suffisant. C'est pourquoi le Département aimerait en recruter 50 de plus. Des foyers où les enfants, aux parcours difficiles, peuvent retrouver une certaine stabilité.
Les enfances ne se ressemblent pas. Il y en a de plus malmené que d'autres. En danger, la justice les a retirées de la garde de leurs parents. Dans ce contexte, certaines familles ouvrent leur porte et leur cœur. Parmi elles, Katia, assistante familiale depuis sept ans. Six enfants vivent aujourd’hui chez elle, et elle résume son quotidien avec une sincérité désarmante : "J'aime vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup. Je ne regrette rien du tout."
Et puisque la maison ne désemplit jamais, l’organisation est un pilier : "Vu qu'ils sont nombreux, on est obligés de s'organiser. Donc, de ce fait, ça va. Si j'en avais moins, il y aurait peut-être un peu... Si je laisse dépasser 2-3 jours ; ce n'est pas possible."
La maison, pensée pour les enfants, respire la stabilité. Alexandra y vit depuis six ans. Elle se souvient de la brusquerie de son arrivée : "Il y a deux dames qui sont venues me chercher à la sortie d'école. Elles m'ont demandé de prendre un sac et de prendre 2-3 affaires à moi et puis je suis directement partie." Le déchirement était immédiat : "Je me suis dit que j'allais partir sans voir mes parents." Après plusieurs changements de familles d’accueil, elle a trouvé chez Katia, un refuge : "Je suis venue ici et je ne veux plus jamais changer."
Chez Katia, Alexandra a retrouvé une stabilité et a l'impression de faire partie de la famille. • © FTV - Clémence Rousseau
Quand on lui demande comment elle considère Katia, Alexandra répond sans hésiter : "Ma maman, ma tante, ça dépend des jours, mais en général, ma maman. Parce qu'en fait ici, on a l’impression que c’est notre famille. Enfin, c’est ma maman de cœur". Elle l’appelle pourtant simplement "Tata", une tendresse qui en dit long.
"Je suis bien tombé"
Pour Benjamin aussi, la famille d'accueil représente un tournant. Il se rappelle son arrivée chez Muriel et Jocelyn, encore floue, mais chargée d’émotion : "J'étais timide. Ma mère a décidé de m'abandonner". Sans personne pour l’héberger, il est conduit en famille d’accueil : "Je suis tombé ici pour la première fois." Et quand on lui demande s’il y est "bien tombé", il répond, presque soulagé : "Oui, je suis bien tombé."
Le père d’accueil explique ce qu’il veut transmettre : "Ce qui me plaît, c'est le fait d'être là, parce qu'ils en ont besoin et parce que... j'en ai besoin aussi. J'aurais aimé avoir ça quand j'étais jeune, pouvoir parler à des adultes qui écoutent, qui comprennent, qui ne jugent pas… Donc, je leur donne ça. Voilà."
Benjamin, 20 ans aujourd'hui, a été recueilli lorsqu'il était plus jeune par Jocelyn, assistant familial. • © FTV - Clémence Rousseau
Un métier qui s’apprend
Dans la Somme, 482 familles d’accueil suivent près de 1 300 enfants. Les besoins, pourtant, ne cessent de croître. Le département veut en recruter cinquante de plus. "Toute personne qui a de l'empathie, du savoir-faire, de l'éducatif est le bienvenu. Il faut le vouloir, il faut le discuter en couple… On ne devient pas famille d'accueil par un claquement de doigts", rappelle Olivier Jardé, vice-président du conseil départemental de la Somme, en charge de la prévention, de la protection de l’enfance, de la famille et de la santé.
La formation a d’ailleurs été renforcée par un décret de 2025 pour obtenir un diplôme d'État : "Nous sommes passés à 100 heures de formation préalable, il était de 60 heures antérieurement. L'enfant arrive au domicile de l'assistant familial et il va rentrer ensuite en formation dite obligatoire qui, elle aussi, a évolué puisqu'elle est passée à 420 heures", explique Gérard Hurtekant, chef de service des assistants familiaux au Département de la Somme.
Les assistants familiaux touchent 3 920 euros bruts pour l’accueil de trois enfants. Mais dans les maisons, le quotidien ne ressemble pas à un travail classique. Chez Katia, la philosophie est simple : "Je me dis toujours que si je peux réparer ce que je peux réparer, tant mieux… Ils oublient, on voit, ils jouent. Je n'ai pas de plan précis, c'est un peu au feeling." Les enfants lui confient-elles parfois leur passé ? "Oui", dit-elle simplement.
Katia Desmeulemester, assistante familiale pendant les devoirs avec l'une des jeunes filles qu'elle accueille. • © FTV - Clémence Rousseau
Une jeune fille accueillie depuis huit ans résume son tiraillement : elle aime être ici, mais avoue : "je préfère être avec mes parents." Elle n’a de contact qu’avec sa mère, et si elle avait le choix, "ce serait tout de suite" qu’elle y retournerait.
Des foyers où l’on recolle les morceaux
Chez Katia, les grandes tablées rassemblent enfants biologiques et enfants de cœur. Elle garde une distance volontaire avec l’histoire passée de chacun : "Je ne veux pas porter de regard, je ne veux pas juger[…] J’occulte ce qui a pu se passer."
C’est comme si on avait du scotch et on pouvait réparer une feuille. Et ça serait le scotch, justement.
Alexandra, petite fille de la famille d'accueil
Muriel quant à elle, exprime son espoir intime : que les enfants accueillis repartent dans la vie sur des bases solides. "S’il vous plaît, je ne veux pas revoir vos enfants dans le système. Parce que ça voudra dire que vraiment, vraiment, j'ai loupé un truc."
Muriel Valade, assistante familiale, s'occupe de plusieurs enfants au sein de son foyer. • © FTV - Clémence Rousseau
Et de conclure sur ce métier hors du commun : "Oui, on a une paie… mais en vrai, je n’ai pas l'impression que je travaille. Je rentre chez moi et je m'occupe des gens qui sont dans ma maison… c'est juste une façon de vivre."